Analyse critique et politique de l'économie rwandaise
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Introduction
La présente note donne une appréciation de la Stratégie d'intervention de la Banque Africaine de Développement (BAD) au Rwanda. Sur base de l'analyse de situation qui est faite et du cadre stratégique, la note apprécie les axes d'intervention qui en découlent.
Analyse de situation et stratégie d'intervention
Le Document de Stratégie Pays (DSP) 2012-2016 pour le Rwanda [1] met en relief les progrès économiques accomplis au Rwanda depuis une dizaine d'années. Ces progrès sont attestés par les bonnes performances réalisées : une croissance économique moyenne de 7,5%. Il en est de même pour l'aspect politique où il est mis en évidence une baisse des tensions politiques dans la sous-région, une bonne gouvernance attestée notamment par un bon classement dans le Doing Business [2], etc.
La BAD met cependant en relief un certain nombre de défaillances et faiblesses, dont un secteur privé faiblement développé, un manque d'infrastructures caractérisé par des déficits en matière de transports et d'énergie, un coût d'énergie élevé (80% supérieur à la moyenne africaine), le chômage et le sous-emploi des jeunes, une faible productivité, une excroissance du secteur tertiaire, un déficit extérieur couplé à une faible diversification des exportations, une faible mobilisation des ressources internes, un faible développement humain caractérisé notamment par une forte incidence de la pauvreté et des inégalités sociales importantes.
Observations sur l'analyse de situation et le contexte politique
Il convient tout d'abord de souligner que ce DSP est d'un grand intérêt et de bonne qualité, malgré quelques lacunes que nous signalons plus bas.
Au niveau de l'analyse de situation, il est intéressant de remarquer que la BAD souligne certains problèmes graves qui caractérisent la société rwandaise et que le pouvoir n'aime pas toujours qu'ils soient mis en relief. Il s'agit notamment du problème des inégalités de revenus, de la qualité de l'éducation, de l'ampleur de la pauvreté féminine malgré les statistiques vantant le classement du Rwanda au niveau du genre, les questions de main d'œuvre peu nombreuse et peu qualifiée, les problèmes de mobilisation de ressources internes malgré le bruit fait pour vanter les réformes institutionnelles et autres de la fiscalité (dont la mise en place d'un Rwanda Revenue Authority), les coûts liés à la pratique des affaires malgré le fait que le Rwanda est le 3ème pays en Afrique sub-saharienne où il est plus facile de faire des affaires [4], etc.
Au niveau du contexte politique, il y a lieu de se demander si l'optimisme de la BAD est suffisamment fondé quand on sait que les libertés fondamentales sont de plus en plus restreintes, que l'espace politique est verrouillé, que la répression et les assassinats politiques tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays ne sont même pas discrètes et que les organisations des droits de l'homme comme Human Rights Watch [5] ou Amnesty International [6] sans oublier le Département d'Etat Américain [7] ne cessent de s'inquiéter du cas du Rwanda. On aurait d'ailleurs souhaité que la BAD insiste sur le fait que performance économique et promotion de la dignité et des droits de l'homme peuvent et doivent aller de pair.
De même, comme la BAD, nous souhaiterions que l'environnement sous régional soit plus sécure avec la cessation des tensions politiques dans la région des Grands Lacs africains. Quand on sait que c'est le Rwanda qui est le centre de la chaîne des violences dans la région, on ne peut mieux souhaiter ! La BAD s'est-elle assurée que les autorités rwandaises l'entendent-elles ainsi ? Est-on sûr que le Rwanda qui hier a mené des guerres en République Démocratique du Congo (RDC) sous le couvert de nombreuses rebellions telles que Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL), Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et Mouvement du 23-Mars (M23) entend mettre fin à cette pratique pour embrasser la promotion de la paix? La course effrénée à l'armement dans la sous-région et à laquelle participe le Rwanda, aurait-elle échappé à l'œil vigilant des experts de la BAD ?
On peut comprendre qu'une institution comme la BAD n'ose pas souligner certains problèmes même si on peut penser qu'elle peut y faire allusion. C'est le cas notamment des questions de la langue d'enseignement car on ne peut du jour au lendemain changer de langue d'enseignement sans conséquences sur le système éducatif d'autant plus que cela s'accompagne d'une exclusion et d'une marginalisation des milliers de personnes formées jusqu'à ce jour, y compris les enseignants [8]. La BAD aurait sans doute dû se préoccuper des conditions de vie des enseignants pour faire observer que le dénuement dans lequel ils vivent est fortement préjudiciable à la qualité de l'éducation. En effet, le salaire d'un instituteur est inférieur à la solde d'un simple soldat qui n'a généralement qu'un niveau de formation primaire [9]!
Inégalités et pauvreté criantes
Sans l'échec patent du programme « one laptop per child » [10], soulignons que la BAD aurait pu faire remarquer qu'avec un taux de scolarisation secondaire - supérieur inférieur à 8% de la population adulte (9% pour les hommes et 7,4% pour les femmes) selon le Rapport Mondial 2013 sur le Développement Humain [11], il y a des risques encore plus graves de creuser davantage le fossé entre les riches et les pauvres. Déjà avec un indice de Gini de 0,49 (0,53 selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) sans oublier qu'on trouve aussi 0,57 dans d'autres sources), le Rwanda est parmi les pays les plus inégalitaires au monde [12]. Cet indice de Gini n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui d'Afrique du Sud sous apartheid.
Sur cette question d'inégalités, remarquons que les 10% les plus riches accaparent 40% des revenus, tandis que les 10% les plus pauvres se contentent d'à peine 3,5% des revenus [13]. En réalité 82% de la population vit avec moins de 2USD par jour et si on utilise les comparaisons internationales, la population au-dessous du seuil de pauvreté (celle qui vit avec moins de 1,25 $/j) est de 63,2% au lieu des 44,9% donnés par les chiffres officiels que d'aucuns ont du mal à justifier. Quant à la population qui croupit dans une pauvreté multidimensionnelle, elle est estimée à 69% selon le même Rapport sur le développement humain [14].
Lorsqu'on sait que les statistiques du Rwanda sont parmi les plus maquillés du monde, il y a lieu de mettre en évidence le fait qu'il sera difficile, voire impossible, d'atteindre les objectifs de la Vision 20/20 et de la SDERP, avec une classe moyenne (ceux qui peuvent dépenser entre 4 et 20USD par jour) représentant à peine 2,6 % de la population. On voit en effet difficilement le Rwanda devenir un pays émergent, sans une classe moyenne dense capable de porter le poids de l'économie du pays. Cette problématique est d'ailleurs mise en évidence dans l'étude de la BAD portant sur « The Middle of the Pyramid : Dynamics of the Middle Class in Africa » selon laquelle le Rwanda occupe non seulement la 3e place parmi les pays africains ayant la plus petite classe moyenne mais aussi possède une classe moyenne la moins stable au sein de la Communauté de l'Afrique de l'Est [15].
Les inégalités sont devenues aussi criantes que le chef d'Etat lui-même et la presse rwandaise mettent en exergue des éléments d'exclusion/marginalisation caractérisés. Cas des gens souffrant des chiques (amavunja)[16], ceux qui vivent dans des abris de fortune [17] , ceux qui ne peuvent se faire soigner, ceux qui n'arrivent pas à se nourrir au moins une fois par jour [18] les problèmes d'accès à la terre agricole [19], les problèmes d'accès à l'eau potable pour une personne sur trois [20] alors que le Rwanda est sans doute l'un des rares pays au monde dont les ressources en eau sont enviables. Ce sont tous ces déficits et inégalités qui justifient que le Rapport 2013 sur le développement humain [21] estime à 33,9% la perte d'IDH (Indice de Développement Humain) due aux inégalités au Rwanda.
Bien que certaines données mettent en évidence des progrès enviables, voire des records dans le domaine du genre, il convient de remarquer que 81,5 % des femmes rwandaises sont actives dans le secteur agricole, contre 59,6% pour les hommes, alors que c'est ce secteur agricole qui concentre le plus des pauvres. Delà il y a lieu d'affirmer que la pauvreté au Rwanda est bel et bien féminine. Ceci ajouté au fait que les réformes engagées dans le secteur rural ont pour conséquences de bloquer l'accès des pauvres à la terre (pour rappel 25% de la population rurale vit avec moins de 0,20 ha), il y a lieu de s'alarmer sur les conséquences sur la situation de la femme au Rwanda.
Dans l'analyse du secteur agricole, nous aurions souhaité que la BAD mette l'accent sur la liaison entre prix des produits alimentaires et pluviométrie ainsi que sur les conséquences néfastes des réformes mis en place dans le secteur agricole et sur la disponibilité alimentaire. On ne le soulignera jamais assez, alors que le paysan rwandais était séparé de la famine par une goutte de pluie, les réformes mises en œuvre ont empiré la situation. Nous pensons qu'en adressant ces questions la BAD rendrait service aux paysans rwandais.
On doit se rendre à l'évidence : le secteur rural est le parent pauvre de la BAD en ce qui concerne les investissements dits stratégiques contrairement aux autres secteurs (Energie, TIC, Voie ferrée, palais des congrès de Kigali, Rwanda Air, Aéroport de Bugesera), même si on peut se demander s'il n'y avait pas d'investissements plus stratégiques qui pourraient faire la différence en s'adressant à la sphère socio-économique des pauvres. L'on ne devrait alors pas s'étonner des «lenteurs de la transformation structurelle».
Dans sa stratégie, la BAD compte aider à développer l'entreprenariat local. Il s'agit sans doute d'une bonne intention pour aider à promouvoir les Petites et Moyennes Entreprises (PME), mais on est en droit de se demander quelles sont les précautions qui seront prises pour éviter que les PME ne soient phagocytées par Crystal Venture dont les velléités de quasi-monopole ne sont plus un secret. Les PME auront- elles une chance d'accéder aux marchés publics dans un environnement dominé et verrouillé par Crystal Venture ? L'on se demandera également les raisons qui ont poussé la BAD à sélectionner la Banque de Kigali pour une ligne de crédit quand on sait que cette banque compte le Président Kagame parmi ses actionnaires [28].
En effet, le Rwanda a souvent été qualifié de chouchou des bailleurs de fonds et en 2011 l'aide étrangère a représenté 20 % du revenu national brut, avec des Rwandais recevant $ 113 par tête [29].
Depuis plusieurs années le Rwanda a prétendument bénéficié de manière significative du pillage des minerais du Congo -en particulier, l'étain , le tantale et le tungstène, avec quelques commerçants rwandais procédant au ré-étiquetage des minerais congolais comme étant rwandais pour les vendre sur le marché mondial, selon de nombreux rapports du Groupe d'Experts des Nations Unies [30].
En 2000, le Rwanda a exporté sept fois plus de coltan qu'il n'en a produit. Il en est de même pour les diamants et l'or [31]. Plus précisément, les exportations de diamants rwandais ont augmenté de 166 carats en 1998 à 30.500 carats deux ans plus tard.
Entre 1999 et 2000, l'Armée Patriotique Rwandaise (APR) a fait un profit de 250 million de dollars en l'espace de 18 mois, selon un Groupe d'Experts de l'ONU [32].
Avec des réglementations internationales en vigueur qui interdisent les exportations des minerais en provenance des zones de conflit, auxquelles il faut ajouter des contrôles stricts des frontières de la RDC depuis la défaite des rebelles du M23 et les retraits de plus en plus fréquents de l'aide étrangère aux pays qui ne parviennent pas à atteindre les objectifs de démocratie, le déficit extérieur du Rwanda ne pourrait que s'approfondir [33].
De même, sur base de l'expérience, il aurait fallu que la BAD s'interroge sur l'efficacité de la dépense. Dans le cas du Rwanda, on peut se demander si un taux d'investissement dépassant rarement 20% du PIB est cohérent avec les taux de croissance du PIB affichés, alors que le diagnostic met en relief l'insuffisance des capacités, une main d'œuvre peu nombreuse et peu qualifiée, une productivité qui laisse à désirer, une faible compétitivité de l'économie, et bien d'autres déficits ou faiblesses structurelles. Il n'est alors pas surprenant que d'aucuns puissent mettre en doute la qualité des données et les performances économiques affichées. Delà à douter des affirmations selon lesquelles le Rwanda atteindra la plupart des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), il n'y a qu'un pas que l'on est en droit de franchir.
Posted by: Nzinink <nzinink@yahoo.com>
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