19 ans après les pages les plus sombres de leur l'histoire, les Rwandais ont pour la troisième fois élu leurs représentants au Parlement, le 16 septembre. Un scrutin théoriquement démocratique, puisqu'adossé au multipartisme.
C'est officiel: le Front Patriotique Rwandais, dirigé par Paul Kagamé, remporte à nouveau la palme avec 76% des voix. Il devance de loin ses partenaires au pouvoir, le Parti social démocrate, avec 13% des voix, et le parti libéral, avec quelque 9%. Les autres formations où les candidats indépendants, ayant eu « la chance » de se présenter, n'atteignent pas la barre des 5% pour pouvoir siéger.
Pas de réelle opposition
Mais comment aurait-il pu en être autrement? Ainsi, le PS-Imberakuri de Bernard Ntaganda, s'est vu briser les ailes par l'incarcération depuis deux ans de son fondateur, inculpé pour « divisionnisme et incitation à la haine ethnique ». Une accusation aussi gravissime que fréquente. « Toute critique du gouvernement ou toute opinion qui s'écarte un tant soit peu de la ligne officielle est systématiquement taxée de « négationnisme » et rapidement réprimée… Pour punir la liberté d'expression« , explique « Reporters sans frontières ».
Les leaders de l'opposition les plus en vue font les frais de cette loi trop vague, en croupissant en prison, aux côtés de journalistes ou de défenseurs des droits de l'homme. Qui ne se souvient pas de Victoire Ingabire, rentrée d'exil pour participer à l'élection présidentielle, rapidement emprisonnée et accusée de collusion avec les milices hutues réfugiées à l'Est du Congo? Les observateurs ont dénoncé les ingérences du pouvoir exécutif et un procès inéquitable. Le plus étonnant dans cette affaire fut l'incarcération de son avocat, un professeur d'université américain accrédité auprès du Tribunal Pénal International, lui aussi accusé de négationnisme.
Des journalistes contraints à l'exil, arrêtés ou tués
Quant au parti démocratique vert duRwanda, lancé en 2009 avec pour objectif de constituer une réelle force d'opposition au FPR de Kagamé, il espérait, cette année, pouvoir entrer dans l'arène politique, après les entraves aux dernières élections présidentielles. Quelques jours avant le jour J, le vice-président de ce parti avait été retrouvé décapité. Le meurtre s'inscrivait dans une série d'assassinats ou de tentatives d'assassinats frappant des opposants dans le contexte de la campagne électorale.
Cette fois-ci, le parti prônant la démocratie s'est vu coincé par des obstacles administratifs, n'étant enregistré officiellement que trois jours avant la date limite. L'horizon du FPR était donc dégagé de tous adversaires sérieux d'autant qu'il n'y a(vait) aucune place pour un débat politique. Ni pour un regard critique de média. « Le harcèlement des autorités contraint les journalistes critiques à l'exil ou aboutit souvent à une arrestation, voire au meurtre », observe « Reporters Sans Frontières ».
Le Rwanda, un exemple?
Récemment, l'ancien commissaire européen, Louis Michel s'est plu à présenter le Rwanda comme « un exemple ». Pareil discours n'est pas rare au sein d'une communauté internationale culpabilisée par le génocide. Toutefois, les choses changent… Certes, le pays affiche une croissance économique record, des progrès remarquables en matière de santé, d'éducation et d'autres objectifs du Millénaire pour le développement. A Kigali, les pelleteuses et les grues tournent à plein régime, les gratte-ciel fleurissent, les grands axes sont couverts de bitume, nettoyés, relookés à coups de peinture fraîche, et les enfants ou vendeuses de rue ont disparu de l'horizon. Mais à quel prix et dans quelles conditions?
Quoi qu'il en soit, mieux vaut ne pas ouvrir la bouche. La population se terre dans le silence. Les fossés se creusent entre riches et pauvres, entre citadins issus de la diaspora tutsi des pays anglophones voisins et paysans, entre une élite tutsie minoritaire aux rênes du pouvoir et la majorité hutue, marginalisée. Loin de la réconciliation nationale prônée officiellement ….
Le parrain américain, agacé
Fin 2012, les experts onusiens ont clairement pointé du doigt le Rwanda comme pourvoyeur d'armes et de combattants à la rébellion du M23, qui sème la guerre dans l'Est du Congo voisin. Les troubles créés facilitent le prélèvement en toute impunité des précieux minerais dont le Kivu regorge.
Kigali continue de nier son implication en dépit de rapports accablants. Si bien que les sponsors du pays des mille collines manifestent de plus en plus leur irritation. Même les Américains, premiers partenaires, viennent d'annoncer la suspension de leur aide militaire en raison de l'enrôlement d'enfants soldats par les mutins du M23 en RDC.
Jean-Charles DUPONT
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