Le soleil plombe sur la cour sans arbre de la prison de Nyarugenge, à Kigali, en cet après-midi du début du mois d'août. Léon Mugesera porte la tenue rose des prévenus, côtoyant les condamnés, vêtus en orangé. «Ce n'est pas un procès équitable», tranche-t-il catégoriquement, enchaînant les exemples.
«Jusqu'à ce jour, pas un seul sou d'aide juridique ne m'a été accordé», dit-il, ce qui le prive du recours aux deux avocats kenyan et américain dont il a retenu les services. Un avocat rwandais assure seul sa défense. «Je comparais devant trois juges et trois avocats de la poursuite. C'est contraire au principe de l'égalité des armes», dénonce-t-il alors qu'un agent en civil du Service correctionnel du Rwanda, assis tout près, écoute attentivement la conversation. La Presse a été autorisée à s'entretenir avec Léon Mugesera durant 45 minutes, à condition de ne prendre aucune photo et de ne pas enregistrer l'entretien.
L'ancien résidant de Québec s'estime par ailleurs lésé par le fait que son procès ne se déroule pas en français, l'une des trois langues officielles du Rwanda avec l'anglais et le kinyarwanda. «La terminologie juridique est quasi inexistante en kinyarwanda», plaide le linguiste.
Requêtes incomplètes
Le Procureur général du Rwanda voit les choses d'un autre oeil. «Le discours [de 1992 qui vaut aujourd'hui à Léon Mugesera d'être accusé d'incitation au génocide] a été prononcé en kinyarwanda devant un millier de Rwandais, pourquoi le procès ne devrait-il pas se dérouler dans la langue nationale?, demande son porte-parole, Alain Mukuralinda. M. Mugesera sait très bien que la traduction de son discours change le sens de ce qu'il voulait dire.»
Quant à la question de l'aide juridique, Alain Mukuralinda argue que Léon Mugesera n'a pas encore démontré qu'il en a besoin. «Et même s'il le faisait, ce n'est pas à lui de choisir ses avocats, l'État lui fournira une liste», ajoute-t-il.
«D'un instant à l'autre, je peux disparaître»
Dans une lettre manuscrite adressée à son avocat ainsi qu'à sa famille et dont La Presse a obtenu copie, Léon Mugesera soutient être victime de menaces et d'intimidation de la part de ses gardiens. «Je peux vous fusiller», lui aurait un jour dit un agent, remplacé depuis.
Un autre lui aurait soufflé à l'oreille qu'il s'occuperait de lui et que le directeur de la prison n'y pourrait rien. «Il a accès à ma cellule jour et nuit, c'est une torture permanente, il n'y a pas pire que ça, dit Léon Mugesera. D'un instant à l'autre je peux disparaître.»
La prison de Nyarugenge est l'un des deux seuls établissements carcéraux à sécurité maximale du Rwanda. C'est là que sont emprisonnés les accusés de crimes liés au génocide remis au Rwanda par des pays tiers, dans l'aile dite d'Arusha, du nom de cette ville de la Tanzanie voisine où est basé le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Cette section «répond aux normes internationales», affirme le directeur de la prison Alex Murenzi.
Mais Léon Mugesera ne s'y sent pourtant pas en sécurité. Il affirme être surveillé par des agents de la police secrète en civil. Le directeur de la prison réfute l'affirmation, ainsi que les allégations de menaces, expliquant qu'il s'agit bien d'agents correctionnels et qu'il les a autorisés à travailler en civil. La loi rwandaise stipule pourtant que les agents correctionnels doivent travailler en uniforme.
Santé chancelante
La santé de Léon Mugesera est aussi source de discorde.
L'homme de 62 ans se plaint de problèmes d'insomnie causés par le stress lié à ses conditions de détention. «Je comparais malade avec 80% de concentration en moins!», déplore-t-il, se plaignant de ne pas avoir pu voir un spécialiste.
«Il a vu cinq ou six spécialistes jusqu'à maintenant, je ne sais pas de quel spécialiste il parle maintenant! s'exclame le directeur de la prison de Nyarugenge, Alex Murenzi. Quand il dit qu'il ne se sent pas bien, on le transfère à l'hôpital du Roi Fayçal. C'est l'un des meilleurs hôpitaux de Kigali!»
Le juge au banc des accusés
Le juge qui préside le procès de Léon Mugesera fait lui-même face à la justice. Athanase Bakuzakundi est accusé d'adultère, un acte criminel au Rwanda.
Il a été arrêté l'an dernier en compagnie d'une femme mariée dans un hôtel de Rwamagana, dans l'est du pays.
Mais le Procureur général a tranché la question: «le juge Bakuzakundi est présumé innocent, donc il peut continuer son travail», indique son porte-parole, Alain Mukuralinda. «Le Rwanda se définit comme un État de droit, il avait promis un procès juste et équitable, mais rien de ceci n'a été respecté», soupire Léon Mugesera.
1987
Il obtient un doctorat en philosophie de l'Université Laval, à Québec.
Novembre 1992
Il prononce un discours à Kabaya, dans le nord-ouest du Rwanda, devant un millier de partisans du président de l'époque, Juvénal Habyarimana. C'est ce discours qui lui vaut aujourd'hui d'être accusé d'incitation au génocide.
Décembre 1992
Il fuit le Rwanda et trouve temporairement refuge en Espagne.
Août 1993
Il arrive à l'aéroport de Mirabel avec sa femme et leurs cinq enfants (mineurs). Ils ont tous le statut de réfugié.
Juillet 1996
La Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) ordonne son expulsion, considérant que le discours de 1992 constituait une incitation au meurtre, une incitation au génocide et à la haine ainsi qu'un crime contre l'humanité.
Septembre 2003
La Cour d'appel fédérale invalide la décision de la CISR.
Juin 2005
La Cour suprême rétablit la décision de la CISR.
De 2005 à 2012
Il présente une «demande d'examen des risques avant renvoi» en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. L'étude de cette demande prendra des années.
Janvier 2012
Il est renvoyé au Rwanda par le Canada.
Janvier 2013
Début de son procès pour incitation au génocide à Kigali, au Rwanda.
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