Dakar-Sénégal: «La condamnation de Victoire Ingambire consiste à museler l’opposition rwandaise»

http://www.walf-groupe.com/actualites/world/8375-entretien-avec-samuel-hakizimana-president-de-lunion-des-ressortissants-rwandais-au-senegal--lla-condamnation-de-victoire-ingambire-consiste-a-museler-lopposition-rwandaiser.html   Entretien avec Samuel Hakizimana, président de l'union des ressortissants rwandais au Sénégal : «La condamnation de Victoire Ingambire consiste à museler l'opposition rwandaise» Lundi, 05 Novembre 2012 13:37 1 Commentaires L'Union des ressortissants rwandais établis au pays de la Téranga a décidé de se battre pour la libération de Mme Victoire Ingambire. Pour son président, Samuel Hakizimana, cette condamnation consiste «à l'écarter du champ politique et à faire taire les autres formations politiques de l'opposition du Rwanda». Dans cet entretien, M. Hakizimana pointe un doigt accusateur sur le président Paul Kagamé et sur son régime.    Wal Fadjri : Le Rwanda a été récemment secoué par la condamnation à huit ans de prison ferme du chef de l'opposition, Madame Victoire Ingabire. Quelle appréciation faites-vous de cette situation ?   Samuel HAKIZIMANA : La condamnation à huit années de prison pour Mme Victoire Ingabire, Présidente des Forces démocratiques unifiées (Fdu- Inkingi) est une manière pour le régime du Front patriotique rwandais (Fpr) de l'écarter définitivement du champ politique et par la même occasion de faire taire les autres formations politiques d'opposition. Après de longues années d'études et d'exil passées aux Pays-Bas, elle est arrivée au Rwanda en janvier 2010 pour faire enregistrer son parti  afin de participer aux élections présidentielles d'août 2010. Elle a commencé à organiser l'opposition interne  qui a abouti à la plate-forme commune entre les trois partis d'opposition (les Fdu, le Ps-Imberakuri et le Parti vert démocratique du Rwanda). Pour la faire taire, Kigali n'a rien trouvé comme solution que de la jeter en prison. Elle a été arrêtée le 14 octobre 2010 et déférée à la prison centrale de Kigali jusqu'à sa condamnation à huit années de prison.   On lui a reproché de développer une idéologie génocidaire et de vouloir semer l'insécurité dans le pays. Que vous inspire de telles accusations ?   Lors de sa visite au mémorial du génocide à Kigali  début 2010, Madame Victoire Ingabire a demandé à ce que les auteurs de tous les crimes commis pendant la guerre et le génocide soient poursuivis en justice, même pour les membres du Fpr. Elle a commis un crime de lèse majesté. Elle doit le payer cher. C'est pour «justifier» son emprisonnement que le régime du Fpr a brandi ces chefs d'accusation.   Quels sont les rapports entre Ingabire et le Front démocratique de libération du Rwanda (Fdlr), ce groupe de rebelles hutus basés en République démocratique du Congo ?   Le Front démocratique de libération du Rwanda (Fdlr) est un mouvement politico-militaire indépendant qui opère dans l'Est de la République démocratique du Congo et qui n'a rien à voir avec les partis politiques d'opposition civile au Rwanda. Par ailleurs, la ligne de conduite des Fdu est claire. Elle mène une lutte démocratique sans violence.  Mme Ingabire a toujours nié tout lien avec le Fdlr. Il y a lieu de la croire. La haute Cour qui l'a jugée a refusé d'entendre un témoin à décharge en sa faveur.   En 2010, Mme Victoire Ingabire s'est vue refuser une participation aux élections présidentielles. On lui a reproché une absence de reconnaissance politique. Qu'en est-il aujourd'hui ?   Depuis l'annonce de la date des élections présidentielles d'août 2010, trois partis d'opposition avaient essayé en vain de se faire enregistrer pour se présenter contre M.  Kagamé. Tout a été fait pour que  les Fdu de Mme Victoire Ingabire et le Parti démocratique vert du Rwanda de Frank Habineza ne tiennent pas leurs assemblées constitutives, tandis que tout fut orchestré pour faire imploser le Ps-Imberakuri précédemment agréé. Aujourd'hui, le parti Fdu, qui a été créé à l'extérieur du pays, est installé au Rwanda et il n'est pas encore officiellement enregistré. En l'absence de Mme Ingabire, le parti est dirigé par un comité intérimaire qui continuera certainement à se battre pour sa reconnaissance.   Maintenant que son chef a été emprisonné, comment se porte l'opposition au Rwanda ?   Comme nous venons de le dire, malgré l'emprisonnement de leur Présidente, les Fdu continuent la lutte à Kigali. Ses militants sont régulièrement emprisonnés, mais ils ne lâchent pas prise. En effet, Mme Ingabire a suscité une lueur d'espoir dans le jeu politique au Rwanda. Elle a prouvé qu'une opposition pouvant constituer le contrepoids au pouvoir de Kigali est possible. Aujourd'hui qu'elle est en prison, tous les démocrates doivent s'unir pour réclamer non seulement sa libération et celle de tous les détenus politiques, des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme emprisonnés pour leurs opinions, mais aussi pour l'ouverture de l'espace politique.   Cette partie du continent africain est un peu en ébullition. Quelles sont les connexions entre le Rwanda et le Mouvement rebelle du M23 ?   Le problème du M23 est complexe. En effet, pour renverser le régime de Mobutu, Laurent Désiré Kabila a été appuyé par l'armée rwandaise composée à l'époque des éléments venus d'Ouganda et de l'Est du Zaïre. Saviez-vous que l'actuel ministre rwandais de la Défense fut le Chef d'Etat major des forces armées congolaises après la chute du régime Mobutu ? Quand Kabila a chassé les Rwandais de la Rdc, les militaires originaires de l'Est de la Rdc plus proches du Rwanda que du régime de Kinshasa ont d'abord constitué le Cndp de Laurent Nkunda, puis le M23.  Dans un rapport rendu public, les experts de l'Onu ont accusé le Rwanda de soutenir le M23 en hommes, en armes et en munitions. Les démentis de Kigali n'ont pas convaincu la communauté internationale. Le communiqué final du dernier sommet de la Francophonie a condamné la rébellion qui sévit à l'Est de la Rdc. Seul Kigali a refusé de signer ce communiqué. D'aucuns y voient un aveu de culpabilité.   L'ambassade du Rwanda compte organiser une journée de solidarité dite «Umuganda» destinée aux victimes sénégalaises des inondations. Ce concept d'Umuganda semble très usuel chez vous. Pouvez-vous nous l'expliquer ?   Dans la culture rwandaise, chaque couple dispose de son propre toit. Traditionnellement, l'Umuganda était une contribution en nature que chaque membre du village apportait pour soutenir  un jeune homme qui désire se marier ou une famille en difficulté. Cette contribution pouvait être constituée du matériel de construction ou la force de travail. Avec l'avènement de la 2e République, instituée en 1973, l'Umuganda a été valorisé et formalisé au niveau national. Dès lors, ce geste de solidarité à des fins d'un appui personnalisé, s'est étendu aux travaux communautaires réguliers  pour réaliser les actions de développement aux niveaux local, arégional et national. Une journée bénévole par semaine y était consacrée pour tout le monde.   Propos recueillis par Magib GAYE