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Wednesday, 14 November 2012

Israël-Palestine : "Je ne haïrai point"

Le Point.fr - Publié le  - Modifié le 

Le docteur Abuelaish est déterminé à rapprocher les deux peuples, même après la mort tragique de ses trois filles à Gaza. Rencontre.

Le docteur Izzeldin Abuelaish est le premier médecin palestinien à avoir exercé dans un hôpital israélien.
Le docteur Izzeldin Abuelaish est le premier médecin palestinien à avoir exercé dans un hôpital israélien. © DR
Le petit Izzeldin Abuelaish n'avait rien pour lui. Il est né à Gaza, une étroite bande de terre longue de quarante kilomètres, et large de six à quatorze kilomètres à son plus fort, où sont entassés 1,5 million de Palestiniens, soit la plus grande densité de population au monde. 70 % d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Pourtant, le territoire compte plus de diplômés supérieurs qu'ailleurs dans le monde. Mais l'université achevée, les nouveaux venus sur le marché du travail se heurtent à une cruelle réalité : ils ne sont pour la plupart pas autorisés à quitter la bande de terre, et gonflent les chiffres du chômage, déjà endémique dans le territoire (44 %).
 
"Nous sommes pratiquement emprisonnés", déplore Izzeldin Abuelaish. "Israël contrôle tout : l'air, l'eau, la terre, la mer." Cela n'a pourtant pas toujours été le cas. Le père d'Izzeldin, Moustafa Abuelaish, était le chef du village de Houg, hameau aujourd'hui délaissé en Israël. Membre de l'une des plus éminentes familles du sud de la Palestine, il menait une vie prospère de fermier. Mais la création de l'État d'Israël en 1948 a changé la donne. Pour s'éviter l'affront d'être chassé de sa terre, le grand-père Abuelaish préfère partir - provisoirement, dit-il. Les Abuelaish n'y ont plus jamais posé un pied. La famille palestinienne n'a eu d'autre choix que de s'exiler dans un des huit camps de la bande de Gaza, comme 170 000 autres Palestiniens.

"À onze dans une pièce de 9 m2"

Izzeldin Abuelaish est né en 1955 dans le camp de Jabalia, dans la partie nord du territoire, alors contrôlé par l'Égypte. Plus de deux cent mille personnes y vivent aujourd'hui. "Comme la plupart des petits Palestiniens, je n'ai pas vraiment eu d'enfance", raconte-t-il. "Ma famille, qui a compté jusqu'à onze membres, vivait dans une pièce de trois mètres sur trois. Il n'y avait ni électricité, ni eau courante, ni toilettes dans la maison. C'était sale, nous n'avions aucune intimité. Nous mangions dans un plat unique que nous partagions."
Minuscule, le logis ne possédait en guise d'appareil électroménager qu'une grande bassine multitâche. "Ma mère l'utilisait pour faire la vaisselle, laver les enfants avec une éponge, et nettoyer la maison", se souvient Izzeldin Abuelaish. "Quand on était prêts à se coucher, elle nettoyait la bassine et la transformait en berceau pour que le bébé puisse y dormir." Une nuit, son petit frère Nasser, agité, saute dans la bassine pour échapper aux réprimandes de sa mère. Horreur, sa petite soeur Noor, qui n'avait que quelques semaines, dormait à l'intérieur. Elle ne survivra pas.

"L'éducation, la plus grande arme des Palestiniens"

Très vite, le petit Gazaoui (habitant de Gaza) comprend que seules les études le sortiront de ce pétrin. "L'éducation est la plus grande arme des Palestiniens", aime-t-il rappeler. Izzeldin adore l'école, même si ses vêtements rapiécés attirent les moqueries de ses camarades non réfugiés. Ce n'est pas le cas de ses professeurs qui louent au contraire ses excellents résultats. "Ce sont eux qui m'ont ouvert des portes et m'ont fait comprendre qu'un avenir existait hors de la terrible pauvreté dans laquelle nous vivions", insiste-t-il.
Mais de retour dans son taudis, le garçon ne peut rien face aux gouttes de pluie qui fuient du toit. Sans prévenir, elles tombent comme une punition sur sa copie, diluant les belles lettres qu'il a écrites avec soin. Qu'importe, le petit Izzeldin doit se faire une raison, et recommencer. En tant que fils aîné de la famille Abuelaish, le garçon multiplie en parallèle les petits boulots - vendre des caisses d'oranges ou du lait - pour gagner des sommes dérisoires. Si cette tâche lui fait parfois manquer les cours, le Gazaoui doit s'y plier, s'il veut éviter à ses proches - et à lui-même - de ne rien trouver le soir dans la gamelle familiale.

"Membres d'une même famille"

À 15 ans, Izzeldin a la chance d'être employé dans une ferme israélienne, près de la ville d'Ashkelon. "Qu'une famille israélienne m'embauche, me traite de façon équitable et avec tant de gentillesse, était totalement inattendu", avoue-t-il. "Preuve m'avait été donnée qu'Israéliens et Palestiniens pouvaient s'entendre et vivre ensemble comme les membres d'une même famille." Entre-temps a éclaté la guerre des Six Jours, opposant Israël à l'Égypte, la Jordanie, la Syrie et l'Irak. L'État hébreu en sort vainqueur : les Israéliens remplacent les Égyptiens dans le contrôle de la bande de Gaza. 
Son baccalauréat en poche, Izzeldin décroche la chance de sa vie. Grâce à ses excellentes notes, il parvient à sortir de Gaza en étant admis à l'université du Caire pour y suivre des études de médecine. Devenu docteur en 1983, le Gazaoui rentre auprès de sa famille. Il officie tout d'abord au service d'obstétrique et de gynécologie de l'hôpital Nasser de Khan Younès. Au fil des années, il est appelé à travailler à Djedda (Arabie saoudite), pour le compte du ministère saoudien de la Santé, puis à Londres, où il parfait ses études. Il décrochera enfin un master en santé publique à Harvard. Son étonnant parcours retentit alors jusqu'en Israël. En 1997, il est encouragé par des collègues israéliens à se spécialiser à l'hôpital de Soroka, dans la ville de Beersheba (sud).

Humiliations quotidiennes

"Izzeldin est une personne singulière, qui a une vision équilibrée du conflit israélo-palestinien", affirme à l'époque le docteur Shlomo Usef, directeur de l'établissement, qui va assurer sa formation. "Il le considère comme un conflit opposant deux adversaires, et lui-même comme un homme pouvant les rapprocher." Sa spécialisation en poche, le pacifiste devient le premier médecin palestinien de l'histoire à exercer dans un hôpital israélien. Il y travaille quatre jours par semaine, avant de rentrer à Gaza, où il retrouve sa femme et ses huit enfants.
Mais son statut privilégié ne le dispense pas des humiliations infligées au point de passage d'Erez, seule voie de communication entre Israël et Gaza. Chaque fois, il doit attendre des heures, à travers de longs couloirs barbelés pour espérer atteindre sa destination. "Pour des gens civilisés, il est dur de concevoir ce qui se passe à ce point de passage : l'humiliation, la peur, les difficultés physiques, l'angoisse de savoir que, sans raison, vous pouvez être renvoyé chez vous, que vous risquez de manquer un rendez-vous important, que vous pouvez être arrêté et détenu, comme des milliers d'autres personnes", raconte-t-il. Des désagréments qui peuvent coûter à un Palestinien son billet d'avion, sa bourse d'études à l'étranger ou, pire, lui faire manquer les derniers instants de vie de sa femme et l'empêcher d'assister aux funérailles de ses filles. Izzeldin Abuelaish en a fait l'amère expérience.

Foi musulmane

Parfois, un simple soldat, à peine plus âgé que ses enfants, lui refuse l'entrée en Israël, alors que les plus hautes instances l'ont assuré la veille du contraire. "Raisons de sécurité", lui lance-t-on à chaque fois en guise de réponse. Toujours, Izzeldin Abuelaish frappe par son calme. "Cela me fâche énormément à l'intérieur de moi-même", avoue-t-il. "Mais ma foi musulmane, mon éducation et ma profession m'intiment l'ordre de rester calme, et de prendre mes responsabilités. C'est cela qui fera la différence à la fin." 
En Israël, le docteur Abuelaish soigne aussi bien des Israéliens que des Palestiniens, arrivés en urgence depuis Erez. "Les soins médicaux sont le meilleur moyen d'instaurer la paix entre nos deux peuples", assure-t-il. "J'adore mon métier, car l'humanisme prime dans un hôpital, les gens y sont traités sans distinction de race, de façon égalitaire." Pour mieux soigner ses patients, il apprend même l'hébreu, qu'il parle aujourd'hui couramment. Profitant de sa notoriété grandissante, il agit en négociateur officieux en réunissant, un week-end par mois, des groupes d'Israéliens dans le camp de réfugiés de Jabalia, pour y observer les conditions, et rendre plus humain un ennemi qui l'a toujours terrorisé. "Le gouvernement manipule son peuple afin de créer en lui une peur", regrette-t-il. Pourtant, fort de cette collaboration inédite, le médecin va construire avec des collègues israéliens plusieurs cliniques privées à Gaza.

"Nos deux peuples se ressemblent"

"C'est surprenant de voir combien nos deux peuples se ressemblent, que ce soit dans la manière d'élever nos enfants, dans l'importance accordée à la famille proche et aux parents plus éloignés, dans notre façon animée de raconter des histoires", insiste-t-il. "Nous sommes des gens volubiles, expressifs, émotifs. Nous partageons des religions et des langues sémites. Nous avons plus de similitudes que de différences et, pourtant, depuis soixante ans, nous avons été incapables de combler le fossé qui nous sépare."
Mais ce fossé va inexorablement se creuser lors de la victoire du parti islamiste Hamas aux législatives de 2006. Considérant le parti vainqueur comme terroriste, Israël va soumettre la bande de Gaza à un sévère blocus économique, notamment après la capture du soldat franco-israélien Gilad Shalit en juin 2006. Une sanction renforcée un an plus tard après la prise de contrôle par la force de la bande de Gaza par le Hamas. "Ces élections, qui avaient été poussées par Israël et les États-Unis, ont été les plus libres et démocratiques qui soient", rappelle le médecin palestinien. "Lorsque les Palestiniens de Gaza ont choisi ce parti, le monde s'est dressé contre eux. De quelle justice parlons-nous ?" s'insurge-t-il maintenant.

Le rôle du Hamas

Depuis 2001, le Hamas a au moins tiré huit mille roquettes en direction du sud d'Israël. Pour sa part, Izzeldin Abuelaish ne blâme pas outre mesure les militants islamistes. "Ces roquettes sont l'instrument du désespoir. Elles poussent l'armée israélienne à une riposte disproportionnée. Et c'est le peuple, notamment les enfants, qui en subit les conséquences." Toutefois, Izzeldin Abuelaish répète qu'il "condamne la violence de toutes [ses] forces". "Mais ne pensez-vous pas que les Palestiniens ont autre chose à faire de leur vie ? Ne voyez-vous pas que les Palestiniens combattent pour la liberté ? Toute population occupée a le droit de combattre l'occupation, de quelque manière que ce soit. Lorsqu'un enfant jette des pierres, il ne faut pas le condamner, mais se demander quelle est la source de cette violence", estime-t-il.
La riposte tant redoutée aura lieu fin décembre 2008. Pour mettre définitivement fin aux tirs de missiles palestiniens, l'armée israélienne lance une opération d'envergure baptisée "plomb durci". Vingt-trois jours durant, la bande de Gaza est bombardée par les F-16 israéliens, puis par les chars de Tsahal. Emprisonnées dans leur bande de terre, les populations ne peuvent s'enfuir. 1 385 Palestiniens, dont 762 civils, périssent. Côté israélien, 3 civils et 10 soldats sont tués. 

"Ils ont tué mes filles !"

Durant le conflit, très peu de journalistes occidentaux sont autorisés à pénétrer dans la zone. Réfugié à son domicile en compagnie de sept de ses enfants, de son frère et de sa nièce, Izzeldin Abuelaish se retrouve malgré lui reporter de guerre. Bloqués à Ashkelon, les médias israéliens qui connaissent le médecin décident de l'appeler sur son portable afin qu'il rapporte la réalité du terrain. Les militaires israéliens le savent. Pourtant, le 16 janvier, la maison est bombardée par deux obus israéliens. "Meubles, livres de classe, poupées, chaussures de jogging et bouts de bois étaient amassés avec les morceaux des corps de mes filles et de ma nièce", se rappelle avec horreur le docteur.
L'aînée de ses filles, Bessan, 21 ans, Mayar, 15 ans, Aya 14 ans, et leur cousine Noor sont tuées sur le coup. Au coeur de l'horreur, Izzeldin profite d'un rare moment de lucidité pour appeler à l'aide son ami israélien Shlomi Eldar, le présentateur de la chaîne Channel 10 : "Ils ont bombardé ma maison ! Ils ont tué mes filles ! Qu'avons-nous fait ?" sanglote le médecin. L'appel, diffusé en direct, suscite une réelle émotion auprès des foyers israéliens : il fait rapidement le tour du Web. Il permettra de sauver les autres enfants blessés, qui seront accueillis en Israël pour y être soignés. 

Mensonges

Il permettra aussi de mettre un visage sur les souffrances quotidiennes subies par la population de Gaza. Loin de s'excuser, Tsahal (l'armée israélienne) affirmera tout d'abord que le domicile a été visé car des snipers palestiniens se trouvaient embusqués sur le toit de l'immeuble. Devant le peu de crédibilité de cette version (les victimes se trouvaient au deuxième étage), l'armée israélienne annoncera ensuite que des militants palestiniens se trouvaient à l'étage. L'information est rapidement reprise dans de grands médias israéliens. "Alors, pourquoi est-ce des filles innocentes, seulement armées d'amour, qui ont été retrouvées mortes ?" s'indigne le médecin. "En continuant à répandre de tels mensonges, ils les ont poignardées après leur mort." 
Il faudra attendre un mois pour que l'armée israélienne admette finalement avoir commis une erreur en bombardant la maison du docteur Abuelaish. Et ce n'est que près de trois ans plus tard, en décembre 2011, après une lutte acharnée, que le médecin palestinien recevra une lettre d'excuse du conseiller des forces armées israéliennes. Du moins, le croyait-il. Laconique, le message se contentera d'évoquer "des dommages collatéraux". 
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Par 
Docteur Izzeldin Abuelaish Je ne haïrai point : un médecin de Gaza sur les chemins de la paix (Sortie en poche le 14 novembre 2012, aux Éditions J'ai Lu)
http://www.lepoint.fr/monde/israel-palestine-je-ne-hairai-point-14-11-2012-1528721_24.php

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-“The root cause of the Rwandan tragedy of 1994 is the long and past historical ethnic dominance of one minority ethnic group to the other majority ethnic group. Ignoring this reality is giving a black cheque for the Rwandan people’s future and deepening resentment, hostility and hatred between the two groups.”

-« Ce dont j’ai le plus peur, c’est des gens qui croient que, du jour au lendemain, on peut prendre une société, lui tordre le cou et en faire une autre ».

-“The hate of men will pass, and dictators die, and the power they took from the people will return to the people. And so long as men die, liberty will never perish.”

-“I have loved justice and hated iniquity: therefore I die in exile.

-“The price good men pay for indifference to public affairs is to be ruled by evil men.”

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