Au moment où l'histoire des relations franco-rwandaises semble faire demi-tour, au moment où l'année 2017 commence dans ce domaine comme avait commencé l'année 2005, il semble nécessaire de revenir sur ce qui s'est passé entre-temps. Pierre Péan vient de le faire de manière magistrale dans l'hebdomadaire «
Le 1 » n° 140, actuellement en kiosque
[1].
Kagame l'avait fait avant lui, de manière beaucoup plus brutale, fou de colère en apprenant que le successeur du juge Trevidic ré-ouvrait l'information judiciaire qu'il croyait close sur l'attentat du 6 avril 1994 : « On nous dit qu'il faut tout recommencer » s'emportait-t-il, laissant entendre clairement que, au Rwanda, l'exercice de la justice passe par lui, et par lui seul !
Mais qu'est-ce donc que Kagame et ses sbires – et toutes leurs courroies de transmission franco-franchouillardes- devraient « recommencer » ?
I. Le temps des obstructions
On sait depuis longtemps comment et par qui a été manipulée la justice internationale du TPIR pour empêcher que soit jugés les crimes contre l'humanité commis par le FPR au Rwanda en 1994. Il s'agissait en particulier d'interdire qu'y soient jugés les auteurs de l'attentat du 6 avril 1994, déclencheur du génocide rwandais. Nous n'y reviendrons pas, la documentation abonde sur ce sujet. Experts, enquêteurs, avocats[2] se sont exprimés sur le sujet. Les récents aveux[3] de la procureure Louise ARBOUR (1° octobre 1996 au 15 septembre 1999) ne sont pas la moindre preuve de la forfaiture dont s'est rendu coupable ce tribunal.Dès lors que le TPIR avait été neutralisé, ne restait plus que la procédure initiée en France par une plainte des familles des victimes françaises pour faire la lumière sur cet attentat et sur l'ensemble le drame rwandais. Carla del Ponte, qui succéda à Louise ARBOUR comme procureur près le TPIR (1999-2003) l'a clairement indiqué: « Seule l'enquête de Bruguière, pensais-je, pouvait encore jouer un rôle significatif pour briser le cercle vicieux de l'impunité»écrit-elle[4] . Cette enquête française tétanisant Kagame, celui-ci s'est mis en devoir de l'annihiler. Un argument majeur avancé par Kigali, par les blancs menteurs et autres avocats de Kagame pour tenter de détruire[5] l'instruction judiciaire ouverte en France sur l'attentat du 6 avril 1994 a été que le juge BRUGUIERE avait mis en examen les proches de Kagame sans avoir personnellement d'investigation sur les lieux de l'attentat. Dès lors que cela lui est reproché il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles ce magistrat d'expérience aux qualités unanimement reconnues sur la scène internationale de l'anti-terrorisme aurait commis ce qui a été trop longtemps présenté comme une bévue. Relisons l'ordonnance[6] que ce magistrat a signée le 17 novembre 2006. Comprenant soixante-quatre (64) pages, ce document n'a pas été écrit à la légèrecomme on tente de nous le faire croire. On y trouve, entre autres, les raisons pour lesquelles le magistrat français n'a pas pu se rendre à Kigali : Dès la page 2, il est rappelé que : « nonobstant la gravité de la situation qui eût exigé une réaction à la mesure des événements, tant les institutions internationales que le nouveau gouvernement rwandais dirigé par le FPR devaient faire montre d'une surprenante irrésolution, le président KAGAME s'étant même formellement opposé à toute enquête sur la destruction de l'appareil »
Puis page 4 , il est précisé que Paul Kagame avait refusé une demande d'enquête formulée par Premier Ministre rwandais et à son Ministre de la Justice.
« que par ailleurs, comme déjà mentionné, le nouveau pouvoir issu des rangs du F.P.R. mis en place au Rwanda le 19 juillet 1994, après la victoire militaire sur le régime du Président HABYARIMANA n'a pas non plus , procédé à une enquête malgré plusieurs demandes émanant notamment, soit de Messieurs Faustin TWIGIRAMUNGU, Premier Ministre du Rwanda, Alphonse Marie NKUBITO, Ministre de la Justice, Sixbert MASANGAMFURA, Chef du service central des renseignements, soit du gouvernement du Burundi, désireux de connaitre la vérité sur l'assassinat du Président Cyprien NTARYAMIRA ;
Qu'il s'est avéré que toutes les demandes avaient été formellement rejetées par le général Paul KAGAME, alors Vice-Président de la République et Ministre de la Défense ;
Que cette position de Paul KAGAME a été attestée par Simon ISONERE, Directeur Gnééral au Ministère des Affaires Etrangères rwandaises qui a rapporté lors de son audition du 8 septembre 2000 que durant ses dernières fonctions ministérielles, il avait appris qu'une demande d'enquête internationale avait été sollicitée par le Premier Ministre et par la ministre de la JusticeAlphonse Marie NKUBITO et que cette demande présentée par lettre au représentant des Nations Unies au Rwanda avait été interceptée par Paul Kagame qui, furieux de cette initiative, avait exigé la destruction de toute trace de ce courrier ;
Qu'elle était également corroborée par Sixbert MASANGAMFURA, nommé Secrétaire Général du gouvernement avant d'occuper la double fonction de responsable du Service Central des Renseignements et de secrétaire de la Commission Nationale de sécurité présidée par le Général Paul KAGAME ;
Que Sixbert MASANGAMFURA mentionnait en effet lors de son audition le 15 avril 2002 en Finlande, que le 7 janvier 1995, il avait été appelé chez Paul KAGAME en compagnie du Lieutenant-Colonel Karake KARENZI, chef des services de renseignements militaires, qu'au cours de cette entrevue, il avait été suggéré à Paul KAGAME de constituer une équipe d'enquêteurs chargés de collecter des informations sur l'attentat contre l'avion présidentiel dans le but de fournir des réponses à d'éventuelles questions posées par un gouvernement étranger ou par la presse internationale et qu'il avait essuyé une réaction violente de celui-ci,Karake KARENZI lui ayant par la suite conseillé de ne plus s'occuper de cette affaire s'il ne voulait pas s'attirer des ennuis ;
Qu'ainsi on ne peut que constater que Paul KAGAME, bien que « l'attaque de l'avion constitué le nœud gordien de cette affaire » , pour reprendre l'expression de Monsieur René DEGNI DEGUI, juriste ivoirien, rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, s'est résolument et constamment opposé à toute démarche tendant à faire la lumière sur cet attentat. »
Après que l'énumération des oppositions, parfois violentes, de Paul Kagame à l'ouverture de quelque enquête que ce soit, y compris toute enquête rwandaise, ait été longuement détaillée pages 4 et 5, cette ordonnance rappelle les conditions dans lesquelles la justice française s'est trouvée saisie de ce crime : « Attendu que c'est dans ce contexte d'inaction voire même d'obstruction à l'égard de toute démarche tendant à la mise en place d'une commission d'enquête sur l'attentat du 6 avril 1994, que le 31 août 1997, Madame Sylvie MINABERRY, fille de Monsieur Jean-PierreMINABERRY, pilote du Falcon 50 de la Présidence du Rwanda déposait plainte avec constitution de partie civile contre X des chefs d'actes de terrorisme ayant entraîné le mort d'un ou plusieurs personnes et de complicité des dits crimes entre les mains du Doyen des juges d'Instruction de Paris ; »
II. Le temps de « l'ouverture »
A l'inverse de son successeur, contrairement aux procureurs près le TPIR, Marc TREVIDIC est allé à Kigali. Curieusement, alors que nul autre avant lui, qu'il agisse pour le TPIR ou pour la justice française, n'avait pu le faire. Marc TREVIDIC a réussi cet exploit. Il suffit de lire l'excellent papier de Pierre Péan[7] sorti cette semaine dans l'hebdomadaire « Le 1 » pour savoir à quelles manipulations lamentables se sont livrés les gouvernements français et rwandais pour aboutir à cette gesticulation. Reniant et niant ses refus antérieurs, Kagame lui-même a déployé le tapis rouge au nouveau magistrat français désormais bien en cour: « Le juge [Trévidic] aura accès à ce qu'il veut voir au Rwanda. Je ne veux pas préjuger de son enquête. Mais je n'ai jamais compris comment ce juge [Bruguière] pouvait proférer des accusations aussi outrageantes sans se rendre sur place, ni même avoir tenté de le faire. Il est toujours utile de venir sur place : notre propre commission d'enquête est venue en France. » dit-il. Le journaliste qui l'interroge ne relèvera pas ce monument d'hypocrisie. Il ne renverra pas le général–président sur ses refus passés mais demandera plus habilement : « La France a-t-elle changé de politique en Afrique ? ». La réponse éclaire tout : « Il y a un changement d'approche par rapport au passé et le président Sarkozy en est le principal artisan. C'est une approche pragmatique et d'égal à égal qui doit être encouragée…. »[8] Le juge Trévidic a donc suivi à Kigali – sous le regard et probablement avec l'aide des experts-barbouzes britanniques de l'université de Cranfield qui avaient auparavant formés les officiers de Kagame - l'exécution de certaines expertises. Les conclusions de ces « actes d'enquête » sont pour le moins contestables, comme je l'ai montré précédemment[9]. Les porte-paroles de Kigali se sont beaucoup trop appuyés sur elles, en leur faisant dire ce qu'elle n'ont pas dit, pour réclamer un non-lieu de plus en plus improbable. Tout a été écrit sur la vacuité de ces expertises auxquelles, en les présentant de manière abusive voire tout simplement mensongère, s'accroche désespérément la défense des accusés. C'est probablement à elles que faisait allusion Kagame lorsqu'il a regretté de devoir « tout recommencer ». Ce disant, il reconnaissait qu'il était le véritable maitre d'œuvre de ce que, par abus de langage, il est désormais convenu d'appeler le « rapport Trevidic ». Que reste-t-il de tout cela ?
De tout cela il ne reste qu'une chose : l'Ordonnance de soit-communiqué du 17 novembre 2006 signée di juge Bruguière : celle que rien n'a pu contredire sérieusement depuis dix ans, et surtout pas cette expertise plus que contestable commise à la Ferté-Saint-Aubin dans le Loiret à laquelle on a fait dire tout ce qu'elle n'avait pas dit.
Examinons à nouveau les 64 pages de cette ordonnance de soit-communiqué. Les arguments sont clairs. Ils sont forts. On notera que le juge Bruguière a largement utilisé les éléments fournis par de la seule enquête jamais réalisée à Kigali de manière indépendante sur l'attentat du 6 avril 1994 celle que l'auditorat militaire belge a diligentée dès le mois d'avril 94. Il a ainsi fixé des éléments précieux parce que, recueillis sur place et dans le temps du flagrant délit, ils échappaient à toute manipulation. En outre, le Juge Bruguière fait état de pas moins de 53 témoins dont aucun n'est sérieusement ou durablement revenu sur ses dires. La seule rétractation signalée à grands cris par les amis de Kagame a été celle du témoin Ruzibiza qui, plus tard sur son lit de mort, dira à Trevidic par quelles pressions cette rétractation avait été obtenue. N'ayant désormais plus rien à craindre, il confirmera ses premières paroles au moment de trépasser.
Les neuf mandats d'arrêts lancés par cette ordonnance ont presque tous produits leurs effets. Huit d'entre eux ont abouti à des mises-en–examen qui perdurent envers et contre tout, et même après les ridicules péripéties que l'on sait, de la spectaculaire reddition de Rose Kabuye aux auditions politico-mediatico-judiciaires de Bujumbura…..
Reste cependant à entendre le dernier officier de Kagame dont le mandat d'arrêt n'a pas encore été suivi d'effet. C'est la volonté affichée par le magistrat instructeur d'achever ce qui doit être fait et de ne pas clore un travail inachevé qui a mis Kagame dans une fureur noire.
Ce dossier exceptionnel concernant l'assassinat de deux chefs d'état en exercice est resté dix années entre les mains du juge Trévidic, dont cinq années de magouilles sarkoziennes.Ainsi lorsque le couple d'avocats de Kigali, Lev Forster – Maingain, disent dans Afrikarabia en octobre dernier : "Au moment où la preuve est rapportée de l'existence d'une manipulation aussi lourde dans l'histoire judiciaire que celle qui a emporté le dossier Dreyfus, l'on poursuit les recherches et interrogations en vue de créer le doute et sans oser le moindre geste par rapport aux manipulateurs du dossier", ils parlent, de toute évidence, des magouilles qu'ils ont eux-mêmes mises en place sous Sarkozy. Aujourd'hui, il ne reste rien de tout cela, sinon quelques kilos – voire quelques tonnes - de papiers et…beaucoup de vent !
« Les faits sont têtus » disait Kagame le 10 avril 2014. Mais les faits ne sont pas ceux que le général-futur-président-à-vie Kagame et sa bande de blancs et noirs menteurs voudraient nous imposer…à défaut de parvenir à nous convaincre.
[1] Pierre Péan : « Récit d'une manipulation » - « Le 1 » n° 140 – février 2017 [2] "
Les massacres du Rwanda 20 plus tard. À la recherche de la vérité. » par André Sirois -
Mondialisation.ca, 18 avril 2014
[3] "
Kagame government blocked criminal probe", Former Chief Prosecutor Louise Arbour said to The Globe and Mail: News, 26 October 2016
[4] «
La traque des criminels de guerre et moi » - Carla del Ponte – Editions Héloïse d'Ormesson- 2009
[5] L'Afrique Réelle N°26 - Février 2012 : «
Comment, pour mieux « échapper à l'histoire » Kagame manipule la Justice ».
[6] Ce sont les zélés serviteurs de Paul Kagame qui nous permettent d'avoir accès à ce texte normalement couvert par le secret de l'instruction :
https://www.lanuitrwandaise.org/revue/IMG/pdf/ordonnance-bruguiere.pdf !!! Mais on ne s'étonne plus de rien : on sait depuis longtemps et au moins depuis la pantomime qui a présidé à la communication des résultats de l'ordonnance-balistico-acoustico- comique évoquée ci-après que Kigali et ses défenseurs avaient porte ouverte au cabinet d'instruction et qu'ils ont eu, bien avant les parties civiles, les conclusions de cette lamentable expertise.
[7] Pierre Péan : « Récit d'une manipulation » - « Le 1 » n° 140 – février 2017 – déjà cité
[8] Interview de Kagame par Christophe AYAD lors du sommet de Nice le 31 mai 2010 dans Libération.
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