La résolution de l'UE du 23 mai 2013 ou la piqure de rappel de l'UE à l'État rwandais sur le respect de la démocratie et de l'État de droit
Victoire Ingabire, nous ne t'oublions pas !
Victoire Ingabire est une de ces femmes qui transperce d'une lumière saisissante la pénombre du chemin long et tortueux de la démocratie et de l'État de droit au Rwanda. Un parallélisme vient souvent à l'esprit lorsque l'on prend le temps d'étudier son parcours avec celui d'une de ses semblables ayant connu les mêmes affres en Birmanie, lui valant alors parfois d'être la « Aung San Suu Kyi africaine ». Un parallélisme qui remportera surement l'adhésion à la condition qu'elle en connaisse la même fin heureuse et libératrice. C'est sans aucun doute le message politiquement enrobé qui semble avoir motivé cette courageuse résolution d'urgence du Parlement européen.
Contexte
Victoire Ingabire est une femme politique rwandaise, présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU) qui représente un parti d'opposition au Rwanda. En 2010, au regard de la situation politique, elle décide de revenir au Rwanda et de se présenter aux élections présidentielles face au Président en exercice et ancien commandant du Front patriotique rwandais (FPR), Paul Kagame. Mais son retour est très vite perturbé par son arrestation en raison de poursuites pour complicité de terrorisme et pour crime « d'idéologie du génocide ». S'en suivra, en octobre 2012, une condamnation en première instance à 8 ans d'emprisonnement pour atteinte à la sûreté de l'État et banalisation du génocide. Son procès a lieu en ce moment et d'après les déclarations de ses avocats et d'experts, celui-ci semble être entaché de nombreuses irrégularités qui perturbent le caractère équitable de son procès. C'est dans ce contexte qu'intervient la résolution du Parlement européen du 23 mai dernier.
Sur la résolution du Parlement européen
En premier lieu, il ressort de la lecture de la résolution du Parlement européen que les eurodéputés s'inquiètent de ce que « le procès n'ait pas respecté les normes internationales » et demandent entre autres aux autorités judiciaires de « garantir la séparation des pouvoirs, et en particulier l'indépendance du système judiciaire ». En effet, depuis le début des procédures, il était reproché à l'État rwandais de procéder à des actes de tortures, d'intimidations des témoins, de détentions illégales et de disparitions. Malgré les déclarations successives du Ministre de la Justice rejetant ces allégations, les députés européens portent voix de ces préoccupantes allégations pour un État devenu membre observateur au siège de l'ONU :
I. considérant qu'en mai 2013, après avoir témoigné contre Victoire Ingabire devant la Haute Cour rwandaise en 2012, quatre témoins de l'accusation et un co-accusé ont révélé à la Cour suprême que leurs témoignages avaient été falsifiés; considérant qu'une organisation de droits de l'homme de premier plan a fait part de préoccupations au sujet de leur "mise au secret prolongée" et de "l'utilisation de la torture pour extorquer des aveux".
Les eurodéputés ne manquent pas non plus de rappeler que l'Union européenne a formellement fait part de ses vives préoccupations en ce qui concerne le respect des droits de l'Homme et du droit à un procès équitable au Rwanda au regard de l'article 8 de l'accord de Cotonou dont le Rwanda est pourtant signataire.
En second point et à la lecture de la résolution, il convient de porter un regard plus accentué sur le fait que les eurodéputés demandent aussi à l'État rwandais d'assurer « la liberté d'expression » et invitent à cet effet – mais pas seulement - le gouvernement rwandais à « réviser la loi sur l'idéologie du génocide afin de respecter les obligations du pays au titre du droit international ».
C'est sur cette base que Victoire Ingabire a donc été condamnée en première instance. Pour bien saisir le caractère restrictif et violateur de cette loi sur la liberté d'expression, il convient d'orienter sa lecture sur le rapport concernant « l'idéologie du génocide », publié en 2006 par le Sénat rwandais[1]. D'après ce rapport, l'idéologie prend la forme d'une critique politique souvent partisane et injuste. Il cite, pour clarifier le propos, des exemples tels que : « régime totalitaire muselant opposition, presse, liberté d'association et d'expression » ou encore « mauvaise conscience de la communauté internationale qui ne condamne pas assez le pouvoir post génocide ». Cette interprétation étendue de « l'idéologie de génocide » érige ainsi en infraction l'expression d'opinions dissidentes qui sont pourtant autorisées par les traités internationaux. En ce qui concerne Victoire Ingabire, elle fut condamnée pour « idéologie de génocide » et « divisionnisme », notamment pour avoir soulevé la question des crimes de guerre du FPR. Il semble alors juste d'objecter que demander à ce que des crimes soient poursuivis ne constitue pas pour autant un discours de haine. Or, ce n'est pas ce que semble retenir le Procureur général Ngogo déclarant : « Le problème c'est la philosophie sous-jacente. Ce n'est pas une question de criminalité, mais de philosophie. L'insistance (sur l'obligation de rendre des comptes pour les crimes de guerre du FPR) n'est pas fondée sur l'inquiétude de voir un groupe oublié. Non elle repose sur une tentative de minimiser l'ensemble de l'opération génocidaire »[2]. Les poursuites menées en vertu d'une loi vaste, mal définie, et contrevenant à un autre principe essentiel qu'est la liberté d'expression présent dans l'ensemble des corpus de textes internationaux sont ainsi dénoncées dans le corps de cette résolution du Parlement européen.
Par cette résolution salutaire du Parlement européen, les eurodéputés demandent à l'Union européenne avec d'autres donateurs internationaux d'exercer une pression continue afin d'encourager la réforme en faveur des droits de l'homme au Rwanda. Finalement, par cette résolution et son accent mis sur le procès de Victoire Ingabire, il est à retenir « que le procès pénal de Victoire Ingabire, l'un des plus longs dans l'histoire du Rwanda, revêt une importance particulière, tant politiquement que juridiquement, en tant que test de la capacité du système judiciaire rwandais à traiter des affaires politiques à fort retentissement de façon équitable et indépendante ». Mais ne tâchons pas d'oublier que derrière ce concept abstrait ou encore théorique de « test » se cache l'avenir concret d'une femme au courage émouvant, à la lumière de ces destins qui ne demandaient pas à être brisés en plein vol.
[1] Sénat Rwandais, Rwanda. Idéologie du génocide et stratégies pour son éradication, 2006, p.17. n. 6.
[2] Procureur général Martin Ngoga cité dans Nick Wadhams, « Rwanda : Anti-Genocide Laws Clashes with Free Speech », Time, 5 mai 2010.
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