Goma tousse, tremble et espère quand même
Envahie par les déplacés, suffoquant dans la poussière, Goma, plus que jamais, subit une atmosphère de guerre. A 18 heures, un couvre feu non déclaré éteint toute activité, les motos taxis cessent de circuler et chacun se presse vers son domicile. Les hommes en uniforme sont partout : plusieurs bataillons de l'armée congolaise gardent les entrées de la ville, les Casques bleus multiplient les patrouilles et surtout, les nouveaux venus de la Brigade d'intervention africaine sont dévisagés avec curiosité.
D'ici quelques semaines en effet, 3000 hommes, fournis par la Tanzanie, l'Afrique du Sud et le Malawi, seront intégrés aux forces de la Monusco (Mission des Nations unies au Congo). Fait nouveau : leur mandat prévoit l' « intervention », pour imposer la paix, par la force s'il le faut. Mille deux cents soldats tanzaniens sont déjà à pied d'œuvre : ils patrouillent très ostensiblement sur la route reliant Goma à Sake et s'entretiennent en swahili avec les déplacés de guerre toujours parqués dans des camps de fortune. Le nouveau commandant de la Monusco qui dirigera les opérations est un Brésilien, le général Carlo Alberto dos Santos Cruz et il revient d'Haïti où il a rétabli le calme dans le bidonville de Cité Soleil. A Goma, il n'a pas mâché ses mots « s'il le faut, nous ne mobiliserons pas seulement la Brigade d'intervention, mais toutes les forces de la Monusco… »
En principe, une trentaine de groupes armés devraient être pris pour cibles par cette mission qui a pour objectif de pacifier pour de bon le Nord Kivu. Mais en réalité, deux groupes sont visés en priorité : les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) des combattants hutus que tous les observateurs assurent être en perte de vitesse, et le M23, ces militaires mutins qui assurent vouloir protéger la communauté des tutsis congolais et sont en lien avec le Rwanda.
Un fonctionnaire chargé du désarmement nous l'assure : « depuis l'éclatement du mouvement début 2013, où 600 combattants se sont réfugiés au Rwanda, le M23 est en perte de vitesse, les défections sont quotidiennes. » L'un des officiers rebelles, rencontré par hasard alors qu'il se promène en civil, nous confirme cette désaffection : « j'ai quitté le mouvement car je ne comprenais plus les buts de cette guerre, j'allais finir par tuer mes frères dans le camp d'en face, sans savoir pourquoi…Si on combat en affirmant défendre seulement une ethnie, (ndlr. les Tutsis congolais) on met cette dernière en péril… »
Cependant, parallèlement aux défections, les recrutements se poursuivent eux aussi. Le fonctionnaire est formel : « le 16 avril dernier, nous avons ramené à la frontière un jeune Rwandais qui affirmait avoir été recruté de force à Kibumba, pour faire partie du M23. Il est rentré chez lui, et puis il a été renvoyé chez les rebelles …Malgré les accords signés à Addis Abeba, par lesquels les chefs d'Etat de la région se sont engagés à ne plus soutenir les mouvements armés dans les pays voisins, le Rwanda n'a pas cessé d'envoyer de nouvelles recrues au M23 qui les forme pendant un mois dans le camp de Rumangabo… »
Même son de cloche auprès d'un officier des FARDC que nous retrouvons à la sortie nord de la ville, adossé à sa jeep. De récents succès lui ont remonté le moral : « en mai dernier, à la veille de l'arrivée de Ban Ki-moon à Goma, non seulement nous avons bloqué l'offensive du M23, mais à Mutaho, nous lui avons infligé une sérieuse défaite et un officier rwandais a été laissé sur le champ de bataille…» Sûr de lui, il ajoute : « nous aurions pu les poursuivre et les défaire, mais l'ordre d'arrêter est venu de Kinshasa… » Et de conclure : « les succès obtenus s'expliquent aussi par le fait que nos bataillons ne sont pas des « unités intégrées », dans lesquelles se retrouvent d'anciens rebelles qui ont gardé des liens avec le camp d'en face… Il n'y a pas de traîtres parmi nous.».
L'action du M23 n'est pas seulement militaire (un obus est tombé la semaine dernière dans un quartier populaire), l'aéroport de Goma est cerné par les batteries du M23, ce qui inquiète beaucoup les Sud Africains qui doivent déployer des hélicoptères de combat. Elle est aussi psychologique : la ville est envahie par des rumeurs d'arrestations arbitraires, à tout moment des jeunes gens abordent les soldats tanzaniens pour leur promettre un «bain de sang », des lettres sont envoyées en Afrique du Sud, rappelant les 38 soldats sud africains qui ont trouvé la mort en défendant Bangui contre les rebelles de la Seleka…
Face à cette campagne d'intoxication, les Tanzaniens se refusent à toute déclaration, les Sud Africains se préparent à déployer des forces spéciales (dont le matériel devra transiter par Kigali…) et le général Cruz rappelle, à l'instar de l'envoyée spéciale de l'ONU Mary Robinson que » la solution sera d'abord politique ». Mais quelle politique ? A Kampala, les émissaires du M23 et du gouvernement se font toujours face dans une négociation qui ressemble plus à une tentative de gagner du temps, avant le début d'opérations militaires que les habitants de Goma à la fois redoutent et espèrent à la fois…
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