Les autorités rwandaises devraient cesser immédiatement leur soutien à ce groupe armé, sous peine de sanctions
(Goma, le 11 septembre 2012) – Les rebelles du M23 qui sévissent dans l'est de laRépublique démocratique du Congo (RDC) sont responsables de crimes de guerre commis à grande échelle, y compris des exécutions sommaires, des viols et des recrutements de force, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Trente-trois des personnes exécutées étaient des jeunes hommes et des garçons qui avaient tenté de quitter les rangs des rebelles.
Certaines autorités rwandaises pourraient être considérées comme complices de crimes de guerre en raison de l'appui militaire continu qu'elles apportent aux forces du M23, a ajouté Human Rights Watch. L'armée rwandaise a déployé ses troupes dans l'est de la RD Congo pour appuyer directement les rebelles du M23 dans des opérations militaires.
Human Rights Watch a basé ses affirmations sur des entretiens, menés de mai à septembre, avec 190 personnes : des victimes congolaises et rwandaises, des membres des familles de victimes, des témoins, des autorités locales, ainsi que des combattants et anciens combattants du M23.
« Les rebelles du M23 sont en train de commettre une horrible série de nouvelles atrocités dans l'est de la RD Congo », a déclaré Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior à la division Afrique de Human Rights Watch. « Les commandants du M23 devraient être contraints de rendre des comptes pour ces crimes, et les autorités rwandaises qui soutiennent les commandants responsables d'exactions pourraient être traduites en justice pour complicité de ces crimes.»
Le M23 est un groupe armé composé de militaires qui ont participé à une mutinerie dans les rangs de l'armée nationale congolaise en avril et mai 2012. Les chefs les plus gradés de ce groupe ont la réputation bien établie d'avoir commis de graves violations des droits humains à l'égard de civils. En juin, la Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Navi Pillay, a désigné cinq des dirigeants du M23 comme étant «parmi les pires auteurs de violations des droits humains en RDC, voire même dans le monde ». Parmi eux se trouvent le général Bosco Ntaganda, qui fait l'objet de deux mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis dans le district d'Ituri, et le colonel Sultani Makenga, qui est impliqué dans le recrutement d'enfants et dans plusieurs massacres dans l'est de la RD Congo.
Se basant sur ses propres recherches, Human Rights Watch a documenté le recrutement de force par les rebelles du M23 d'au moins 137 jeunes hommes et garçons dans le territoire de Rutshuru, dans l'est de la RD Congo, depuis juillet. La plupart ont été enlevés à leur domicile, au marché ou alors qu'ils se rendaient à leurs champs. Au moins sept d'entre eux avaient moins de 15 ans.
Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch qu'au moins 33 nouvelles recrues et d'autres combattants du M23 avaient été sommairement exécutés alors qu'ils essayaient de s'enfuir. Certains ont été ligotés et abattus devant les autres recrues à titre d'avertissement.
L'une des jeunes recrues a déclaré à Human Rights Watch: «Quand nous étions avec le M23, ils nous ont dit [que nous avions le choix] entre rester avec eux ou mourir. Beaucoup ont tenté de s'enfuir. Certains ont été retrouvés et pour eux, cela a été la mort immédiate. »
Depuis juin, les combattants du M23 ont tué de sang froid au moins 15 civils dans des zones qu'ils contrôlent, parfois parce qu'ils les soupçonnaient de leur être hostiles, a affirmé Human Rights Watch. Les combattants ont également violé au moins 46 femmes et filles. La plus jeune victime de ces viols avait 8 ans. Des combattants du M23 ont tué par balles une jeune femme de 25 ans enceinte de trois mois, parce qu'elle résistait à une tentative de viol. Deux autres femmes sont mortes des blessures reçues lorsqu'elles ont été violées par des combattants du M23.
Les rebelles du M23 ont fait subir aux civils des sévices d'une terrible brutalité, a indiqué Human Rights Watch. Juste après minuit le 7 juillet, des combattants du M23 ont attaqué une famille dans le village de Chengerero. Une femme de 32 ans a raconté à Human Rights Watch que les rebelles avaient défoncé la porte de son habitation, battu à mort son fils de 15 ans et enlevé son mari. Avant de partir, les rebelles l'ont violée collectivement, ont répandu du carburant entre ses jambes et mis le feu au carburant. Un voisin est venu au secours de cette femme après le départ des combattants du M23. On ignore ce qu'il est advenu de son mari.
Des autorités locales, des chefs coutumiers, des journalistes, des défenseurs des droits humains et d'autres personnes qui se sont élevés contre les violations commises par le M23 – ou qui sont connus pour avoir dénoncé les abus perpétrés auparavant par les commandants rebelles – ont été pris pour cible. Beaucoup ont reçu des menaces de mort et se sont enfuis vers les zones contrôlées par le gouvernement congolais.
Les chefs du M23 nient que leurs troupes ou eux-mêmes aient commis des crimes. Dans un entretien le 8 août avec Human Rights Watch, l'un d'eux, le colonel Makenga, a démenti les allégations de recrutements de force et d'exécutions sommaires, affirmant que ceux qui rejoignaient leurs rangs le faisaient volontairement. « Nous recrutons nos frères, pas par la force mais parce qu'ils veulent aider leurs grands frères …. C'est leur décision », a-t-il dit.
« Ce sont nos petits frères, donc nous ne pouvons pas les tuer. » Il a qualifié les nombreuses informations concernant le recrutement forcé par ses troupes de propagande du gouvernement congolais.
Des autorités militaires rwandaises ont également continué de recruter de force ou sous des prétextes fallacieux de jeunes hommes et garçons, dont certains étaient âgés de moins de 15 ans, au Rwanda afin de grossir les rangs du M23. Le recrutement d'enfants de moins de 15 ans est un crime de guerre et est contraire à la loi rwandaise.
Le 4 juin, Human Rights Watch a indiqué qu'entre 200 et 300 Rwandais avaient été recrutés au Rwanda en avril et mai et emmenés de l'autre côté de la frontière pour combattre avec les forces du M23. Depuis lors, Human Rights Watch a recueilli de nouveaux éléments de preuve de recrutements forcés au Rwanda en juin, juillet, et août, concernant plusieurs centaines de personnes. Se fondant sur des entretiens avec des témoins et des victimes, Human Rights Watch estime qu'au moins 600 jeunes hommes et garçons – et peut-être beaucoup plus – ont été recrutés au Rwanda, de force ou par d'autres méthodes tout aussi illégales, pour aller rejoindre le M23. Ces recrues sont plus nombreuses que celles qui ont été enrôlées de force par le M23 en RD Congo.
Des Congolais et des Rwandais vivant à proximité de la frontière, y compris des autorités locales, ont affirmé à Human Rights Watch qu'ils avaient observé de fréquents mouvements de troupes rwandaises vers et en provenance de RD Congo en juin, juillet, et août, apparemment pour prêter main forte aux rebelles du M23. Ils ont précisé que les militaires de l'armée rwandaise utilisaient régulièrement un sentier proche de la colline de Njerima au Rwanda, non loin du volcan Karisimbi, pour franchir la frontière.
En plus du déploiement de renforts et de recrues pour appuyer des opérations militaires, des autorités militaires rwandaises ont fourni une importante assistance aux rebelles du M23 sous forme d'armes, de munitions et de formation, a déclaré Human Rights Watch. Ces actions font du Rwanda un État partie au conflit.
« Les démentis répétés du gouvernement rwandais selon lesquels ses responsables militaires ne soutiennent pas les rebelles criminels du M23 manquent sérieusement de crédibilité», a ajouté Anneke Van Woudenberg. « Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait sanctionner les chefs du M23, ainsi que les dirigeants rwandais qui les aident, pour graves violations des droits humains. »
Le conflit armé dans l'est de la RD Congo tombe dans le champ d'application du droit international humanitaire ou des lois de la guerre, y compris l'article 3 et le protocole II des Conventions de Genève de 1949, qui interdisent les exécutions sommaires, les viols, les recrutements forcés, et d'autres exactions. Les graves violations des lois de la guerre commises délibérément ou par imprudence constituent des crimes de guerre. Les commandants peuvent être tenus responsables pénalement pour des crimes de guerre commis par leurs forces s'ils savaient ou auraient dû savoir que de tels crimes étaient commis et ont failli à leur obligation de les empêcher ou de punir leurs auteurs.
Un Groupe d'experts de l'ONU chargé de superviser l'application de l'embargo sur les armes et de surveiller les violations des sanctions en RD Congo a présenté de manière indépendante des éléments de preuve convaincants d'un soutien rwandais aux rebelles du M23. Ses constatations ont été publiées dans une annexe de 48 pages au rapport interimaire du Groupe d'experts en juin 2012. Le gouvernement rwandais a nié ces allégations. Le Comité des sanctions de l'ONU devrait immédiatement chercher à obtenir des informations supplémentaires sur les chefs du M23 et sur les officiers de l'armée rwandaise nommés par le Groupe d'experts, dans l'optique de l'adoption de sanctions ciblées à leur encontre, a estimé Human Rights Watch.
En juillet et en août, les gouvernements de cinq pays bailleurs de fonds – les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, les Pays-Bas, et la Suède – ont annoncé la suspension ou le report du versement de leur assistance financière au Rwanda, à la lumière des preuves présentées par le Groupe d'experts. Bien que le soutien militaire rwandais au M23 et les exactions du M23 se soient poursuivis avec la même intensité, le ministère britannique du Développement international a annoncé le 4 septembre qu'il allait débloquer la moitié de l'assistance financière qu'il avait gelée.
La reprise des hostilités entre le M23, l'armée congolaise et divers autres groupes armés a entraîné le déplacement de plus de 220.000 civils qui ont fui leurs maisons pour chercher refuge dans d'autres zones en RD Congo ou au-delà des frontières de l'Ouganda et du Rwanda.
« Les civils congolais ont été les plus affectés par les exactions commises en temps de guerre », a conclu Anneke Van Woudenberg. « L'ONU et ses États membres devraient accroître de toute urgence leurs efforts pour protéger les civils, et les gouvernements bailleurs de fonds qui fournissent au Rwanda une assistance financière ou militaire devraient immédiatement réexaminer leurs programmes pour s'assurer qu'ils ne servent pas à commettre de graves violations des droits humains. »
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Éléments de contexte sur le M23 et sa hiérarchie
Les militaires de l'armée congolaise qui ont pris part à une mutinerie entre la fin mars et le mois de mai et ont formé le groupe M23, avaient auparavant été membres du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un ancien groupe rebelle soutenu par le Rwanda qui a été intégré dans l'armée congolaise en janvier 2009.
Le général Ntaganda a pris la tête de cette mutinerie suite aux tentatives du gouvernement congolais d'affaiblir son pouvoir et aux appels de plus en plus nombreux en faveur de son arrestation et de son transfert devant la CPI, conformément à l'obligation légale de la RD Congo de coopérer avec la Cour. Il a été rejoint par environ 300 à 600 hommes dans le territoire de Masisi, dans la province du Nord-Kivu. Les forces de Ntaganda ont été vaincues et repoussées hors de Masisi par l'armée congolaise au début du mois de mai. À peu près au même moment, le colonel Makenga, ancien camarade de Ntaganda au sein du CNDP, a annoncé le déclenchement d'une autre mutinerie dans le territoire de Rutshuru. Les jours suivants, Ntaganda et ses forces ont rejoint Makenga.
Le nouveau groupe armé s'est appelé le M23. Les militaires ont affirmé que leur mutinerie visait à protester contre le fait que le gouvernement congolais n'avait pas pleinement mis en œuvre l'accord de paix du 23 mars 2009 (d'où le nom de M23), en vertu duquel ils avaient été incorporés dans l'armée congolaise.
Certains des officiers du M23 ont des antécédents bien connus d'atteintes graves aux droits humains commises au cours des dix dernières années dans l'est de la RD Congo, incluant des massacres à caractère ethnique, le recrutement forcé d'enfants, des viols généralisés, des meurtres, des enlèvements, et des tortures, commis par ces individus au gré de leurs passages d'un groupe armé à l'autre. Avant les mutineries, au moins cinq des chefs actuels du M23 figuraient sur une liste noire de l'ONU comprenant des personnes avec qui l'Organisation ne coopérerait pas, en raison de leurs antécédents en matière de droits humains.
Bosco Ntaganda est sous le coup d'un mandat d'arrêt de la CPI depuis 2006 pour crimes de guerre, pour avoir recruté et utilisé des enfants soldats en 2002 et 2003 dans le district d'Ituri, dans le nord-est de la RD Congo. En juillet, la Cour a émis un second mandat contre lui pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, en l'occurence des meurtres, des persécutions pour motifs ethniques, des viols, de l'esclavage sexuel, et des pillages, également en rapport avec ses activités en Ituri. Le 4 septembre, la CPI a renouvelé sa demande au gouvernement congolais d'une arrestation immédiate de Ntaganda et de son transfert à La Haye. Human Rights Watch a documenté de nombreux crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis par les troupes commandées par Ntaganda depuis son passage de l'Ituri au Nord-Kivu en 2006.
Selon des recherches effectuées par les enquêteurs de l'ONU en matière de droits humains et par Human Rights Watch, le colonel Makenga est responsable de recrutement d'enfants et de plusieurs massacres commis dans l'est de la RD Congo; le colonel Innocent Zimurinda est responsable de massacres à caractère ethnique à Kiwanja, à Shalio et à Buramba, ainsi que de viols, de tortures et du recrutement d'enfants; le colonel Baudouin Ngaruye est responsable d'un massacre à Shalio, du recrutement d'enfants, de viols et d'autres attaques contre des civils; et le colonel Innocent Kayna est responsable de massacres à caractère ethnique en Ituri et du recrutement d'enfants.
Ntaganda et Zimurinda figurent également tous deux sur une liste de personnes sous le coup de sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Sous ce régime de sanctions de l'ONU, tous les États membres, y compris le Rwanda, ont l'obligation de « prendre les mesures nécessaires pour empêcher l'entrée ou le transit sur leur territoire de toute personne »
figurant sur cette liste. Or Ntaganda et Zimurinda se sont tous deux rendus au Rwanda depuis avril, selon des informations données à Human Rights Watch par d'anciens combattants du M23 qui accompagnaient Ntaganda et des personnes qui étaient présentes lors de réunions auxquelles Zimurinda a participé au Rwanda.
Publiquement, le M23 soutient que Ntaganda n'appartient pas au mouvement. Mais plusieurs dizaines de combattants, anciens ou actuels, du M23 et d'autres personnes proches de la hiérarchie du groupe ont affirmé à Human Rights Watch que Ntaganda jouait un rôle important de commandement et de direction au sein des rebelles du M23, opérant principalement dans la région de Runyoni, et qu'il participait régulièrement à des réunions avec le haut commandement du M23 et des officiers de l'armée rwandaise.
Les mêmes personnes ont indiqué à Human Rights Watch qu'il existait des tensions entre Ntaganda et Makenga en raison de désaccords passés au sujet du putsch mené en 2009 par Ntaganda contre le dirigeant du CNDP de l'époque, Laurent Nkunda. Mais ces divergences, ont-elles affirmé, ont été mises de côté pour se concentrer sur la rébellion contre l'armée congolaise. Un combattant du M23 a ainsi expliqué la situation à Human Rights Watch:
« Beaucoup d'entre nous ont de mauvais souvenirs de Ntaganda…mais nous devons nous occuper en priorité de la guerre contre les FARDC [l'armée congolaise]. La guerre contre Ntaganda viendra après. »
Depuis juillet, Ntaganda semble avoir adopté un profil bas et, selon des membres du M23 qui ont fait défection interrogés par Human Rights Watch, il bénéficie d'une protection rapprochée avec des dizaines de gardes du corps.
Meurtres et viols commis par les forces du M23
Les enquêtes de Human Rights Watch ont révélé que des combattants du M23 ont délibérément tué au moins 15 civils, en ont blessé 14 autres et ont violé au moins 46 femmes et filles dans des zones qu'ils contrôlent, en juin, juillet et août. Au moins 13 des victimes de ces viols étaient des enfants. Certains de ces civils ont été attaqués parce qu'ils résistaient au recrutement forcé ou refusaient de donner de la nourriture au M23. D'autres ont été visés parce qu'ils étaient soupçonnés d'être hostiles au M23 ou s'étaient enfuis vers des zones contrôlées par le gouvernement et essayaient de revenir chez eux pour trouver de la nourriture.
Au mois de juin, par exemple, des combattants du M23 ont tué un homme de 50 ans d'ethnie hutue, Nsabimana Rwabinumwe, qui s'était enfui lorsque les M23 étaient arrivés dans son village mais était revenu à son champ pour chercher de la nourriture. Un ami qui l'a enterré a déclaré à Human Rights Watch: "Ils [les combattants du M23] l'ont frappé derrière la tête avec une houe … Quand vous quittez les zones contrôlées par le gouvernement et revenez, ils vous punissent … Ils ont tué [mon ami] parce qu'il était allé en zone gouvernementale."
Début août, un couple âgé qui vivait près de Runyoni a quitté sa maison pour fuir vers les secteurs contrôlés par le gouvernement, mais un groupe de combattants du M23 l'a arrêté. Les combattants du M23 ont saisi la femme et lui ont arraché ses vêtements. Son mari a tenté de la protéger mais plusieurs combattants ont commencé à frapper cet homme de 60 ans avec leurs fusils, pendant que d'autres violaient sa femme à tour de rôle. L'homme a perdu connaissance en voyant sa femme violée. Plus tard, il a été emmené à l'hôpital où il a dit à des proches: « Je veux mourir. Je n'ai aucun désir de vivre après ce que j'ai vu. Seuls des animaux ont pu faire cela. » Deux semaines plus tard, il a succombé à ses blessures.
Une fille de 15 ans de Muchanga a raconté à Human Rights Watch que le 10 juillet, alors qu'elle se rendait avec sa mère et sa jeune soeur vers leur champ, un combattant du M23 s'est approché et leur a demandé de l'argent. Elles lui ont donné l'argent qu'elles avaient sur elles et qu'elles économisaient pour payer des frais de scolarité, et l'homme leur a ordonné de se coucher sur le sol. « D'abord, il a laissé partir ma mère et ma petite soeur en leur disant de courir vite. Je suis restée seule avec lui. Il m'a emmenée à 500 mètres du champ et m'a
violée. »
Le 24 août, deux combattants du M23 ont violé une fillette de 12 ans. Ils ont fait irruption chez elle, ont menacé sa mère et sa tante et ont ordonné à la fillette de sortir. Ils l'ont violée collectivement à quelques mètres de la maison, près des latrines de la famille. « [Elle] souffrait beaucoup, elle criait très fort mais ces criminels n'ont eu ni coeur ni pitié pour qui que ce soit, » a déclaré un témoin à Human Rights Watch. « Ils ont continué à la violer jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits. »
En plus des 15 civils tués froidement par le M23, au moins 25 autres ont été tués en juillet pendant des combats entre le M23 et ses partisans d'un côté et les militaires de l'armée congolaise et les Casques bleus de l'ONU de l'autre. Au moins 36 autres civils ont été blessés. Dans de nombreux cas, ni les M23 ni l'armée congolaise n'ont fait suffisamment d'efforts pour éviter des morts de civils ou pour permettre aux civils de fuir de manière sûre la zone des combats.
Soutien rwandais au M23
En juillet, plusieurs centaines de militaires de l'armée rwandaise, et peut-être encore plus, ont été déployés dans l'est de la RD Congo pour aider le M23 à s'emparer de la ville frontalière stratégique de Bunagana, de la base militaire de Rumangabo, des villes de Rutshuru, Kiwanja, et Rugari, et des zones environnantes. Des résidents de la région et d'ex-soldats du M23 qui ont fait défection ont fait état de déploiements préalables d'éléments de l'armée rwandaise, lors desquels les militaires rwandais pénétraient en RD Congo pour de brèves périodes pour soutenir le M23 dans des batailles importantes, se retiraient, puis revenaient si nécessaire. Un officier des forces de maintien de la paix de l'ONU dans le Nord-Kivu a confirmé ces brusques montées de soutien pour le M23. Il a dit à Human Rights Watch:
« Chaque fois que [le M23] entreprend une grosse offensive, il dispose de forces d'appoint. »
Des résidents locaux et des combattants du M23 qui se sont échappés ont indiqué à Human Rights Watch que les 5 et 6 juillet, lors d'une attaque contre Bunagana, plusieurs centaines de militaires de l'armée rwandaise appartenant à la division du général Emmanuel Ruvusha stationnée à Gisenyi (nord-ouest du Rwanda), ont été déployés dans la région pour renforcer le M23. Des transfuges ont affirmé à Human Rights Watch qu'ils avaient reconnu les officiers de la division. Les rebelles du M23 ont coordonné avec les forces rwandaises leur offensive contre l'armée congolaise qui était appuyée par les Casques bleus de l'ONU.
Des soldats du maintien de la paix de l'ONU, qui étaient présents pendant cette offensive, ont raconté à Human Rights Watch que les forces ayant attaqué Bunagana étaient bien équipées et parlaient anglais, et que leur comportement était très différent de celui des militaires congolais, ce qui les portait à croire que des militaires rwandais se trouvaient parmi les assaillants.
De nombreux militaires de l'armée rwandaise déployés en appui du M23 passaient directement du Rwanda en RD Congo, empruntant divers sentiers, notamment près de Njerima et de Kanyanje. D'autres seraient passés par le territoire de l'Ouganda pour pénétrer en RD Congo, notamment par un sentier situé du côté ougandais du volcan Sabyinyo. Des soldats du M23 ayant fait défection et des résidents de la région ont affirmé à Human Rights Watch que des militaires rwandais avaient fait des incursions en territoire ougandais et utilisé des véhicules ougandais pour entrer en RD Congo.
Des Congolais et des Rwandais, y compris des autorités locales vivant près de la frontière rwando-congolaise, ont également indiqué à Human Rights Watch qu'ils avaient vu des militaires rwandais en grand nombre traverser la frontière du Rwanda vers la RD Congo en juin, juillet, et août. Plus tard, ils avaient aussi vu des militaires rwandais repasser la frontière en sens inverse.
Début juillet, juste avant que les rebelles du M23 attaquent Bunagana avec l'appui de troupes rwandaises, un agriculteur congolais du mont Hehu, près de Kibumba, rendait visite à un ami à Kasizi, au Rwanda, quand il a été réquisitionné par des militaires rwandais et obligé de porter des caisses de munitions.
Il a dit à Human Rights Watch qu'il avait compté sept camions de l'armée pleins de militaires rwandais, d'armes, et de munitions. «Les militaires nous ont emmenés, moi, mon ami et d'autres civils…et nous ont forcés à transporter des caisses de munitions à Njerima [près de la frontière du Congo]. J'ai été obligé de faire trois voyages, puis j'ai réussi à m'échapper. Les soldats étaient bien armés et en uniforme militaire. …J'ai demandé où nous allions à un soldat qui marchait à côté de moi. Il m'a répondu qu'ils allaient combattre au Congo. »
Fin juillet, des Congolais vivant près de Kasizi ont à leur tour raconté avoir vu de nombreux militaires de l'armée rwandaise entrer en RD Congo en provenance du Rwanda. Le 3 août, deux Rwandais, dont un chef de village de la région, ont indiqué à Human Rights Watch qu'ils avaient vu un important groupe de militaires de l'armée rwandaise passer du Rwanda en RD Congo, sur un sentier situé à proximité du volcan Karisimbi.
D'autres personnes ont vu des militaires rwandais sortir de la RD Congo. Un journaliste qui se rendait début août de Ruhengeri à Kinigi, a confié à Human Rights Watch qu'il avait vu deux groupes d'au moins 100 militaires chacun qui marchaient sur un sentier en provenance de la frontière congolaise et en direction de la route principale reliant Ruhengeri à Kinigi au Rwanda. Il a décrit les militaires comme étant « sales et visiblement fatigués », précisant que « certains boitaient, leurs chaussures étaient boueuses et il était clair qu'ils étaient très fatigués.»
Il semble que les forces rwandaises en RD Congo ont coordonné leurs opérations avec le M23, assumant souvent un rôle de commandement, selon des témoignages recueillis par Human Rights Watch auprès de résidents de la région et d'ex-combattants du M23 qui ont fait défection. L'un de ces anciens combattants a dit à Human Rights Watch avoir vu, lors des combats à Bunagana, un général rwandais, Emmanuel Ruvusha, sur le mont Tshanzu, siège d'une des principales bases du M23, d'où il semblait commander et superviser les opérations militaires.
Un autre transfuge qui avait commandé une unité de combattants du M23 a affirmé qu'il recevait ses ordres directement d'officiers de l'armée rwandaise pendant l'attaque de Bunagana. D'autres transfuges du M23 ont été également en mesure de nommer des officiers rwandais qui avaient été présents sur des positions du M23 en RD Congo. Ils ont affirmé que ces officiers avaient dirigé ou aidé à diriger des opérations militaires, fourni des armes ou supervisé la formation de nouvelles recrues.
Bon nombre des transfuges du M23 et des recrues qui s'étaient échappés, congolais ou rwandais, interrogés par Human Rights Watch, ont affirmé que leur formation avait été assurée par des militaires de l'armée rwandaise dans des camps d'entraînement à Bukima, à Tshanzu, et à Rumangabo, dans le territoire de Rutshuru, en RD Congo.
Un transfuge rwandais du M23, ancien officier du CNDP, a indiqué à Human Rights Watch avoir reconnu les officiers rwandais qui entraînaient les nouvelles recrues du M23 car il avait lui-même été formé par eux au Rwanda lorsqu'il était au CNDP. « Je les connaissais bien car j'avais suivi leur cours de formation au Rwanda », a-t-il dit. « Je les ai reconnus. »
Human Rights Watch a tenté en vain de contacter le porte-parole de l'armée rwandaise pour recueillir une réponse à ces allégations.
Dans un entretien publié par le quotidien belge Le Soir le 29 août, le ministre de la défense du Rwanda, James Kabarebe, a démenti que l'armée rwandaise soutienne le M23. « Tout le monde sait que le Rwanda n'a pas un seul soldat au sein du M23, ne lui donne aucun
soutien», a-t-il dit. A la question de savoir si des soldats rwandais incontrôlés pourraient être engagés dans des opérations d'appui du M23, il a répondu que l'armée rwandaise était
« solide, bien organisée, bien commandée, bien disciplinée » et qu'il ne pouvait y avoir aucun « élément incontrôlé » dans ses rangs.
Recrutements forcés en RD Congo par le M23
Depuis début juillet, les rebelles du M23 ont accru leurs activités de recrutement dans le territoire de Rutshuru, dans l'est de la RD Congo, après avoir pris le contrôle des régions de Bunagana et, plus tard, de Rutshuru, Kiwanja, Rumangabo, et Rugari. Des commandants du M23 ont tenu des réunions dans les villes et les villages tombés sous leur contrôle, pour convaincre la population de soutenir leurs activités en fournissant des recrues et de la nourriture. Constatant que les recrues volontaires étaient rares, les combattants du M23 ont rapidement commencé à emmener de force de jeunes hommes et des garçons.
Les recherches effectuées par Human Rights Watch ont révélé qu'au moins 137 jeunes hommes et garçons ont été recrutés de force dans le territoire de Rutshuru entre début juillet et fin août, dont au moins 20 enfants de moins de 18 ans, sept d'entre eux ayant même moins de 15 ans.
Ces chiffres sont à ajouter aux 149 jeunes hommes et garçons recrutés dans le territoire de Masisi en avril, comme l'a rapporté Human Rights Watch le 16 mai. Le nombre total des jeunes hommes et garçons recrutés de force par le M23 en RD Congo, à la connaissance de Human Rights Watch, se monte à 286, dont au moins 68 enfants de moins de 18 ans, 24 d'entre eux ayant moins de 15 ans.
Les nouvelles recrues ont été emmenées dans des centres d'entraînement militaire créés par le M23 à Bukima, à Tshanzu, à Runyoni, et à Rumangabo. Des recrues qui ont réussi à s'échapper ont raconté à Human Rights Watch qu'on leur avait donné des uniformes militaires et appris le maniement d'un fusil et d'autres techniques militaires de base. Les recrues ont également dit à Human Rights Watch que ces entraînements étaient souvent dirigés par des officiers de l'armée rwandaise.
Les recrutements forcés ont créé un climat de peur, poussant de nombreux jeunes hommes et garçons à fuir vers les zones contrôlées par le gouvernement ou à chercher refuge au-delà de la frontière, en Ouganda ou au Rwanda.
Les 16 et 17 juillet, des combattants du M23 ont recruté de force au moins 60 jeunes hommes et garçons originaires des groupements de Rugari et Kisigari. Ils leur ont dit qu'ils avaient besoin d'aide pour transporter leurs affaires, ramasser du bois pour le feu et recueillir de l'eau et qu'ils seraient ensuite libérés. En fait, les jeunes hommes et garçons ont été conduits dans des centres d'entraînement militaires à Bukima et à Tshanzu, où ils ont reçu une brève formation militaire.
Un homme de 20 ans recruté de force avec trois autres jeunes hommes dans le groupement de Kisigari le 21 juillet, est parvenu à s'échapper plus tard. Il a dit à Human Rights Watch que lui et les autres avaient été emmenés dans un camp d'entraînement à Bukima. « Là-bas, nous avons passé toute une nuit dans un trou plein d'eau jusqu'à la taille, comme une mare, » a-t-il dit. « Les soldats du M23 nous ont dit que c'était le début de notre formation militaire, pour nous apprendre à nous habituer au froid. »
Un jeune Congolais de 19 ans a été enlevé le 23 juillet à Bugina alors qu'il revenait des champs. Des témoins ont indiqué que des combattants du M23 l'avaient forcé à porter leurs affaires, puis l'avaient intronisé dans leur groupe. Des membres de sa famille l'ont vu à Rutshuru le 25 juillet en uniforme militaire avec un fusil, combattant avec le M23 contre l'armée congolaise.
Un homme qui était allé rendre visite à un parent à Tshanzu qui avait rejoint le M23, a affirmé à Human Rights Watch que durant cette visite, il avait vu un groupe de 70 à 80 nouvelles recrues à l'entraînement. L'homme a reconnu quatre des recrues, des enfants de son village qui étaient encore à l'école primaire et avaient 13 ou 14 ans. Il a précisé à Human Rights Watch que beaucoup d'autres enfants d'âge similaire se trouvaient parmi les recrues.
Le recrutement par des groupes armés d'enfants de moins de 18 ans est interdit par le Protocole optionnel de la Convention sur les droits de l'enfant concernant l'engagement d'enfants dans des conflits armés, ratifié par la RD Congo et le Rwanda. Selon le traité fondateur de la CPI, le recrutement d'enfants de moins de 15 ans est un crime de guerre.
Recrutements au Rwanda pour le M23
Les autorités militaires rwandaises ont continué à effectuer des recrutements pour le M23 au Rwanda entre juin et août, comme lors des mois précédents, soit par la force soit sous des prétextes fallacieux. Selon des informations recueillies par Human Rights Watch, environ 600 personnes ont été recrutées dans ces conditions au Rwanda. Ces recrues sont supérieures en nombre à celles qui ont été enrôlées par le M23 en RD Congo. Elles incluent de jeunes Rwandais sans formation militaire précédente et des réfugiés tutsis congolais qui vivaient dans des camps de réfugiés ou de transit au Rwanda. Parmi les autres groupes ciblés pour les recrutements, figurent les militaires démobilisés de l'armée rwandaise ou du CNDP et les anciens combattants démobilisés des FDLR qui étaient rentrés au Rwanda. Les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) sont une milice armée composée essentiellement de Rwandais hutus, qui opère en RD Congo et dont certains membres ont participé au génocide de 1994 au Rwanda.
Selon des recrues qui ont réussi à s'échapper et ont été interrogées par Human Rights Watch et selon des informations provenant d'autres sources, les autorités rwandaises ont recruté des dizaines de jeunes hommes et garçons dans des camps de réfugiés congolais à Kibuye et Byumba, ainsi qu'au Centre de transit de Nkamira. Beaucoup ont été saisis de force dans les camps pendant la nuit par des hommes en civil, qui les ont emmenés au camp militaire rwandais de Kinigi. Là, on leur a donné des uniformes, des armes, des munitions et d'autres équipements à transporter, et ils ont été escortés jusqu'en RD Congo par des militaires rwandais. D'autres ont rejoint le mouvement volontairement, après s'être entendu dire que s'ils soutenaient le M23, cela faciliterait le retour de leurs familles en RD Congo.
Un étudiant tutsi de 22 ans, qui faisait ses études près de Kitchanga, en RD Congo, a raconté à Human Rights Watch qu'il avait fui en mai vers le Centre de transit de Nkamira au Rwanda pour échapper au recrutement forcé en RD Congo. Deux semaines plus tard, il a été saisi de force au camp de transit en même temps que 13 autres jeunes hommes. Il a affirmé que des hommes en civil les avaient rassemblés et fait monter de force dans des véhicules aux vitres opaques. Ils ont été emmenés à Ruhengeri, chargés de transporter du sel et forcés de marcher vers la frontière congolaise, sous escorte de militaires rwandais.
À la frontière, le groupe a fait sa jonction avec des combattants du M23, qui les ont accompagnés à Runyoni, où on leur a donné une formation militaire dans les jours suivant leur arrivée. « Ils [les M23] nous frappaient », a raconté l'étudiant. « Ils nous disaient que nous devions nous débarrasser de notre 'conscience de civils.' Ils disaient que nous allions conquérir le Nord-Kivu. »
Un autre exemple des recrutements au Centre de transit de Nkamira est celui d'un jeune Rwandais de 18 ans qui était venu rendre visite à sa soeur le 6 juin. Il a affirmé que cette nuit-là, il avait été raflé par des hommes habillés en civil qui ont rassemblé 28 jeunes hommes du camp et les ont emmenés à bord de trois véhicules au camp militaire rwandais de Kinigi. Les jeunes hommes ont été chargés de transporter des bidons de carburant et ont été escortés à pied par des militaires rwandais jusqu'aux positions militaires du M23 à Runyoni, en RD Congo.
Les autorités militaires rwandaises ont également mobilisé des autorités locales pour qu'elles participent aux opérations de recrutement. A Rwerere, au Rwanda, près du village de Kasizi situé à la frontière avec la RD Congo, des autorités militaires rwandaises ont convoqué les autorités locales à une réunion le 27 juin, lors de laquelle ils leur ont dit que chaque autorité responsable de 10 maisons (appelées nyumbakumi) devait trouver cinq recrues à envoyer en RD Congo pour soutenir le M23. Deux personnes qui ont participé à cette réunion et ont été par la suite interrogées par Human Rights Watch, ont indiqué avoir reçu pour instruction de
« donner la priorité aux jeunes soldats démobilisés » et de dire à ces jeunes qu'ils devaient aller en RD Congo « pour assurer la sécurité du Rwanda car le gouvernement congolais soutenait les FDLR ».
Selon ces mêmes personnes, plus de 300 nouvelles recrues mobilisées par les autorités locales ont été emmenées le 4 juillet à Kabumba, près de la frontière congolaise. Puis ils ont été escortés par des militaires rwandais de l'autre côté de la frontière, jusqu'à Runyoni où ils ont rejoint le M23.
Un autre nyumbakumi de la région du Rwanda frontalière de la RD Congo près de Kasizi a indiqué à Human Rights Watch que lors d'une autre réunion le 24 août, les autorités civiles et militaires rwandaises ont de nouveau appelé les autorités locales à recruter des jeunes pour rejoindre le M23. Ils leur ont déclaré que « la totalité des Kivus devrait revenir au Rwanda parce qu'ils lui appartiennent » et qu'ils devraient collecter de l'argent auprès des populations sous leur contrôle afin de payer les jeunes et les encourager à rejoindre le M23.
Un combattant du M23 qui s'est confié à Human Rights Watch a été franc au sujet des recrutements au Rwanda. « Nous n'avons pas beaucoup de soldats et le Rwanda en a beaucoup, » a-t-il dit. « Nous recrutons partout au Rwanda. Nous recherchons particulièrement ceux qui ont de la famille au Congo, les anciens combattants du CNDP ou les soldats démobilisés. Les enfants des rues sont aussi très susceptibles d'être recrutés. »
Les autorités militaires et civiles rwandaises qui recrutent des enfants de moins de 15 ans pour renforcer le M23 se rendent coupables de crimes de guerre. Le recrutement d'enfants de moins de 18 ans à des fins militaires est également interdit par la loi rwandaise.
Exécutions sommaires et mauvais traitement des recrues
Le M23 a traité ses nouvelles recrues très durement. Les passages à tabac et les traitements cruels ou dégradants étaient monnaie courante. Les recherches de Human Rights Watch ont révélé qu'au moins 33 rebelles et recrues du M23, qui avaient tenté de s'échapper et avaient été repris, ont été sommairement exécutés.
Un Rwandais de 18 ans, qui s'est échappé après avoir été recruté de force au Rwanda, a déclaré à Human Rights Watch qu'il avait assisté à l'exécution d'un garçon de 16 ans appartenant à son unité du M23 et qui avait essayé de s'enfuir en juin. Le garçon a été capturé et battu à mort par les combattants du M23 devant les autres recrues. Un commandant du M23 qui a ordonné son exécution aurait dit aux autres recrues: « Il voulait nous
abandonner », en guise d'explication de sa mise à mort.
Un Congolais hutu de 28 ans, recruté de force début mai à Karuba, dans le secteur de Masisi, a dit à Human Rights Watch qu'en raison de sa résistance à l'idée de devenir un combattant, le M23 l'avait détenu dans une prison de fortune constituée d'un trou dans le sol au camp militaire du M23 à Runyoni, avec 25 autres recrues d'ethnie hutue qui étaient punis pour désobéissance. Une recrue rwandaise a déclaré à Human Rights Watch: « Nous étions maltraités au camp [de Runyoni]… Souvent, ils battaient les gens si durement qu'ils ne s'en remettaient pas et tombaient malades… Je voulais m'enfuir. »
Quelques jours après leur recrutement, de nombreux jeunes hommes et garçons ont été envoyés au combat. N'ayant que peu ou pas du tout de formation militaire ou d'expérience, les nouvelles recrues sont souvent parmi les premiers à être tués. Un garçon rwandais de 17 ans recruté en juin à Ruhengeri, au Rwanda, a dit à Human Rights Watch: « Il y a beaucoup d'enfants avec [le général] Ntaganda maintenant et ils nous envoient sur les lignes de front, donc nous sommes les premiers à mourir. On dirait qu'ils nous prennent juste pour nous faire tuer. »
Un homme originaire de Rugari, en RD Congo, a dit à Human Rights Watch que son neveu, âgé de 15 ans, avait été recruté de force à la mi-juillet par le M23 alors qu'il se rendait aux champs. Quelques jours plus tard, il a été tué dans dans un combat sur une colline près de Rugari. Après la bataille, les rebelles du M23 ont obligé un groupe de civils, dont faisait partie l'oncle du garçon, à enterrer les morts. « J'ai vu mon [neveu] là, mort, une balle dans la poitrine, » a déclaré l'oncle. Il a participé à l'enterrement d'au moins 60 corps ce jour-là. Beaucoup semblaient être des enfants.
Intimidations et menaces à l'encontre des défenseurs des droits humains, des journalistes et des autorités locales
Des autorités locales, des chefs coutumiers, des journalistes, des défenseurs des droits humains et d'autres personnes qui se sont exprimées contre les violations commises par le M23 ou qui sont connues pour avoir dénoncé les abus perpétrés auparavant par les commandants rebelles, ont été pris pour cible. Beaucoup ont reçu des menaces de mort et se sont enfuis vers les zones contrôlées par le gouvernement congolais.
Le M23 s'est emparé de stations de radio locales dans le territoire de Rutshuru peu après avoir pris le contrôle des villes et villages de la région en juillet, menaçant les techniciens et les journalistes et les obligeant à leur remettre leur équipement. Un technicien de radio interrogé par Human Rights Watch a déclaré avoir été menacé par un haut responsable du M23, qui l'a averti que s'il refusait de laisser le groupe utiliser sa radio, ils le tueraient.
Fin juillet, le M23 a mis sur pied des comités de sécurité à Kiwanja, Rutshuru, et Rubare. Les dirigeants du M23 affirment que ces comités doivent servir d'unités de liaison avec les communautés locales sur les questions de sécurité. Cependant, un membre d'un de ces comités a déclaré à un activiste de la société civile de la région que ces comités ont pour tâches principales de recruter des jeunes pour grossir les rangs du M23 et de dénoncer à la hiérarchie du mouvement les opposants au M23.
Les chefs coutumiers locaux qui n'ont pas fait preuve de leur allégeance au M23 ont également été pris pour cible et certains ont fui vers les zones tenues par le gouvernement.
Le chef coutumier de la localité de Rumangabo, Manishimwe Rwahinage, a été détenu par le M23 le 17 juillet. Des dirigeants du M23 ont déclaré à Human Rights Watch qu'il avait été placé en détention pour avoir collaboré avec les FDLR et qu'ils étaient en train « d'essayer de le changer ». Il a été relâché le 11 août, après que des civils de sa localité eurent versé 150 dollars US. Le 5 septembre, Rwahinage a été tué par balles à Rumangabo, non loin d'un poste militaire du M23. Les dirigeants du M23 ont affirmé que les FDLR etaient responsables, mais les proches de la victime sont convaincus qu'il a été tué par les combattants du M23. Une enquête est nécessaire pour déterminer qui est responsable de ce decès.
Des militants des droits humains à Goma ont affirmé avoir reçu des appels et des messages téléphoniques menaçants de la part de personnes soupçonnées d'être membres du M23. Le 26 juillet, un activiste a reçu le message suivant: « Nous sommes maintenant à la porte de Goma, Parle une fois de plus [et] nous allons couper ta bouche. Annonce ce message à tes autres collègues, fils de chiens. Nous allons mettre fin à votre vie.»
Travaux forcés, pillages et extorsions par le M23
Les combattants du M23 ont forcé des civils à travailler pour eux, parfois en les menaçant de mort.
Le 26 juillet, les combattants du M23 ont forcé un enseignant d'école primaire, âgé de 32 ans, originaire de la localité de Gisiza, à transporter des caisses de munitions de Kabaya au camp militaire de Rumangabo. Quand l'instituteur a essayé de rentrer chez lui, il a été blessé par balles dans le dos par les combattants du M23.
Un chef coutumier local du village de Kigarama, près de Rugari, qui s'était enfui à Kanyaruchinya, a raconté à Human Rights Watch que le 3 août, il était retourné à son champ pour chercher de la nourriture. Le lendemain, des combattants du M23 sont arrivés et l'ont obligé à amener son cochon dans leur camp, où l'animal a été tué pour nourrir les combattants. Pendant les six jours suivants, cet homme a été contraint de creuser des tranchées, traire des vaches et récolter des haricots. Il a également été forcé de trouver de jeunes femmes qu'il devait amener au camp du M23; il en a amené trois, âgées de 15 ans, 20 ans et 25 ans. Leur sort n'est pas connu.
De nombreux autres civils ont indiqué à Human Rights Watch qu'ils avaient été obligés de céder leurs récoltes, de l'argent et d'autres biens aux combattants du M23. Un homme de Rugari a déclaré à Human Rights Watch que des commandants du M23 ont tenu une réunion à la mi-juillet, lors de laquelle chaque famille a reçu l'ordre de fournir au M23 cinq kilos de haricots dans les sept jours. Le M23 s'est également livré à des pillages en faisant du porte-à-porte, attaquant ceux qui lui résistaient. Le 24 août, des combattants du M23 se sont rendus aux domiciles de cinq commerçants de Rugari, les ont attaqués à la machette et au couteau et leur ont extorqué de l'argent.
Début septembre, le M23 contrôlait trois axes d'approvisionnement importants traversant Rutshuru vers Rwindi, Bunagana, et Goma, et imposait de lourdes « taxes » à tous les véhicules passant sur leur territoire.
Pressions exercées sur les anciens membres du CNDP par les autorités militaires rwandaises
De hautes autorités militaires rwandaises ont cherché à influencer d'anciens membres du CNDP et leurs familles, en RD Congo et au Rwanda, pour qu'ils soutiennent ou rejoignent le M23. Plusieurs anciens officiers et chefs politiques du CNDP ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils étaient soumis à de fortes pressions de la part d'autorités rwandaises pour qu'ils rejoignent le M23. Les moyens de pression incluaient menaces de mort et intimidations.
Le sénateur Edouard Mwangachuchu, président de la branche politique du CNDP, qui avait dénoncé publiquement la mutinerie du M23, a déclaré à Human Rights Watch que début mai, il avait reçu un coup de téléphone du ministre rwandais de la défense, le général James Kabarebe, lui donnant pour instruction de soutenir le M23 et exigeant que le CNDP, en tant que parti, mette fin à son alliance politique avec la coalition du président Joseph Kabila au pouvoir en RD Congo. Le sénateur a affirmé que lorsqu'il a refusé, le ministre lui a dit de « se taire » et l'a averti qu'il allait « être frappé par la foudre. » Quelques jours plus tard, d'autres membres du CNDP ont déclaré avoir évincé le sénateur Mwangachuchu de la présidence du parti et retiré leur formation de la coalition de M. Kabila.
Dans sa réponse officielle au Groupe d'experts de l'ONU, le gouvernement rwandais a affirmé que les appels téléphoniques entre les autorités rwandaises et des citoyens congolais avaient été « délibérément sortis de leur contexte » et que ceux de James Kabarebe « visaient à éviter un retour de la violence et [à] promouvoir le dialogue politique. »
Des civils congolais tutsis, dont des hommes d'affaires et des autorités civiles, ont également affirmé être soumis à de fortes pressions pour qu'ils soutiennent le M23. Certains l'ont fait volontairement mais d'autres ont refusé et sont l'objet de menaces et d'actes d'intimidation.
« C'est comme s'ils [les Rwandais] nous tenaient un couteau sous la gorge, » a déclaré un homme d'affaires tutsi congolais.
Exactions commises par d'autres groupes armés dans l'est de la RD Congo
Depuis le début de la rébellion du M23, les FDLR et d'autres groupes armés congolais, dont la milice Raia Mutomboki, ont également accru leurs activités militaires, élargissant les zones sous leur contrôle et tuant des centaines de civils dans d'autres zones du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, selon l'ONU et des défenseurs locaux des droits humains. Ces milices semblent avoir profité des tensions ethniques croissantes et du vide sécuritaire qui s'est créé du fait que l'attention de l'armée congolaise est accaparée par les rebelles du M23.
Certaines des milices, telles que les Mai Mai Sheka – dont le chef, Ntabo Ntaberi Sheka, est l'objet d'un mandat d'arrêt congolais pour crimes contre l'humanité sous l'accusation d'être responsable de viols à grande échelle – ont également reçu un soutien des autorités militaires rwandaises ou des chefs du M23 pour mener des opérations militaires contre l'armée congolaise et les FDLR, selon des responsables de l'ONU et le Groupe d'experts de l'ONU.
Certains des combats les plus acharnés se sont déroulés entre le groupe armé congolais Raia Mutomboki (« Peuple en colère » en swahili) et les FDLR. Des résidents et des activistes locaux des droits humains des territoires de Masisi, Walikale, Kalehe et Shabunda dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, affirment que des centaines de civils ont été attaqués pendant les combats de cette année, chaque camp accusant la population locale de soutenir ses ennemis.
Le 29 août, Navi Pillay, la Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, a condamné les meurtres et les massacres perpétrés par les deux groupes. « La pure cruauté avec laquelle ces meurtres ont été commis dépasse l'entendement », a-t-elle déclaré. « Dans certains cas, ces attaques contre des civils pourraient constituer des crimes contre l'humanité. »
Le M23 a cherché à s'allier avec certains des groupes armés qui sont actifs dans l'est de la RD Congo, leur fournissant un soutien soit occasionnel, soit continu, y compris des armes et des munitions, et organisant parfois des attaques coordonnées contre les positions de l'armée congolaise.
Par exemple, début septembre, des combattants de Mai Mai Sheka ont attaqué et pris le contrôle de Pinga, une ville proche des territoires de Masisi et Walikale, avec le soutien du M23, selon des responsables de l'ONU.
Les dirigeants du M23 et les autorités rwandaises qui ont fourni des armes, des munitions et de l'aide sous d'autres formes aux groupes armés congolais, soit directement, soit indirectement, pourraient être considérés comme complices des violations des lois de la guerre commises par ces groupes.
Exactions commises par les forces armées congolaises
Lors d'opérations contre les rebelles du M23, les forces armées congolaises ont elles aussi commis des exactions contre les civils dans le territoire de Rutshuru et à Goma, dont l'arrestation arbitraire de Tutsis considérés comme partisans du M23, en plus du mauvais traitement des détenus, dont au moins un a été tué.
Certaines des personnes arrêtées par les soldats congolais n'avaient pas de liens apparents avec le M23, mais pourraient avoir été visées parce qu'elles étaient de nationalité rwandaise ou d'ethnie tutsie.
Entre fin mai et début juillet, par exemple, les militaires congolais ont arrêté cinq enfants rwandais, âgés de 12 à 17 ans, lors d'incidents distincts à Kibumba et à Goma, à la frontière rwandaise. Les enfants ont été emmenés à la prison militaire du quartier général du 802ème régiment au Camp Katindo, à Goma. Les gardiens ont ordonné aux autres détenus, qui étaient principalement des soldats, de battre les enfants. Un garçon de 17 ans a déclaré à Human Rights Watch que les autres prisonniers leur avaient dit: « Puisque vous êtes rwandais, nous allons vous battre à mort. » La nuit, les enfants étaient battus et suspendus au plafond pendant des heures « comme des singes ». Ils ont été privés de nourriture, personne ne leur a dit de quoi ils étaient accusés et ils n'ont pas été interrogés par des magistrats.
Vers la mi-juillet, l'un des enfants, Daniel Masengesho, âgé d'environ 16 ans, est tombé gravement malade. « Nous avons dit au gardien de la prison qu'il était très malade et qu'il risquait de mourir là », a dit l'un des garçons à Human Rights Watch. « Le gardien a répondu: 'Taisez-vous. C'est un Rwandais. Laissez-le mourir lentement.' » Les garçons ont demandé à plusieurs reprises aux gardiens de l'emmener à l'hôpital mais ils ont refusé. Le 23 juillet, Masengesho est mort. Le lendemain, l'armée a emmené les quatre autres garçons à moto à la frontière rwandaise. Les autorités congolaises de l'immigration les ont interrogés après avoir constaté leur état de faiblesse, leur ont donné à manger et les ont emmenés à hôpital à Goma pour qu'ils soient soignés.
Les autorités congolaises ont réagi rapidement et quelques jours plus tard, elles ont arrêté le commandant Tharcisse Banuesize Chiragaga, l'officier congolais responsable de la détention des cinq enfants. Le 17 août, un tribunal militaire l'a condamné à cinq ans de prison pour arrestation arbitraire, torture, falsification de documents et détention illégale ayant causé la mort d'un détenu.
Bien que les autorités congolaises aient tenté de renvoyer les garçons au Rwanda, les autorités gouvernementales rwandaises ont refusé de les admettre, affirmant n'être pas en mesure de confirmer qu'ils avaient bien la nationalité rwandaise. Ils ont eu la même attitude vis-à-vis de transfuges rwandais du M23, qui sont toujours détenus dans des prisons militaires congolaises ou sous la garde des soldats de maintien de la paix de l'ONU.
Alors que l'armée congolaise battait en retraite vers le nord en abandonnant ses positions à Kiwanja, dans le territoire de Rutshuru, le 25 juillet à la suite d'une offensive du M23, les militaires ont emmené avec eux un certain nombre de détenus. Human Rights Watch a recueilli plusieurs informations selon lesquelles quatre de ces personnes auraient été tuées par des soldats près d'une position militaire congolaise au « Pont Mabenga ». La justice congolaise devrait enquêter d'urgence sur cet incident, a déclaré Human Rights Watch.
Les militaires congolais sont également responsables de pillages à grande échelle. À Rutshuru et à Kiwanja les 8 et 25 juillet, des militaires congolais ont pillé des maisons et forcé des dizaines de civils à transporter leurs affaires alors qu'ils battaient en retraite devant des offensives des rebelles du M23.
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