Conflit dans les Kivus: le Rwanda en accusation
Godefroid BwitiLumisa Kinshasa
Les pressions se multiplient sur Kigali, en raison du soutien de l'armée rwandaise aux milices armées dans l'est de la République démocratique du Congo. Ambiance tendue entre les deux voisins alors que le Sommet de la francophonie s'ouvre vendredi à Kinshasa
C'est une actualité brûlante, mais non prévue au programme. Le Sommet international de la francophonie s'ouvre ce vendredi sur fond de polémique entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC). Réunis en prélude mercredi, certains représentants des 75 pays membres ont assisté à une joute verbale entre le Rwanda et la RDC, sur le présumé soutien militaire de Kigali aux milices armées qui sévissent au NordKivu, dans l'est de la RDC. Une région où, depuis le mois de mai, l'armée régulière est aux prises avec les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) qui, de source onusienne, ont installé une sorte «d'Etat dans l'Etat».
Pour étayer ses accusations, Kinshasa s'appuie d'abord sur le rapport d'experts de l'ONU publié dès juin, qui souligne le «rôle clé» de Kigali dans la création, l'armement et le financement des mutins du M23. D'autres enquêtes, comme celle de Human Rights Watch (HRW) publiée en septembre, sont venues confirmer ces allégations.
Arrêt des subventions
Selon de nombreux observateurs, le Rwanda aurait pour objectif une «sécession des deux Kivus». Un objectif peu réaliste, selon Pierre Cherruau. Le directeur de la rédaction du site d'informations SlateAfrique reconnaît cependant «que cette région est en voie de balkanisation. D'autant que le régime de Kabila n'a pas forcément la légitimité et la puissance militaire pour reprendre le contrôle de tout l'est du Congo.» Un isolement qui fait la fortune de plusieurs dirigeants rwandais, dont des officiers de haut rang cités dans le rapport de l'ONU, qui tirent de juteux profits de la persistance de la guerre grâce à l'exploitation minière d'un des sous-sols les plus riches du monde.
Certes, Kigali a toujours réfuté ces accusations, mettant au contraire en avant son rôle de médiateur pour la paix dans la région. Sans convaincre franchement ses principaux bailleurs, dont les défections se sont enchaînées en cascade. «Si les liens étroits tissés par le Rwanda avec les dirigeants américains et britanniques au lendemain du génocide de 1994 ne se déferont pas si vite, les chancelleries occidentales ne peuvent plus ignorer les violations des droits de l'homme tant au Kivu qu'à l'intérieur du Rwanda même», analyse Pierre Cherruau.
Dès l'été, les Pays-Bas, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont suspendu leur aide budgétaire de plusieurs dizaines de millions de dollars. Et, si les Etats-Unis ont mis entre parenthèses leur faible subvention de 300 000 dollars annuels, il n'en reste pas moins que ces signaux forts commencent à agacer le gouvernement du président Paul Kagame.
«D'autres acteurs»
Fin septembre, l'Union européenne, par la voix de son représentant à Kinshasa, Jean-Michel Dumond, a annoncé la suspension de toute nouvelle aide au Rwanda: «Il s'agit de faire comprendre très clairement à nos amis rwandais qu'ils doivent explicitement condamner le M23, et […] faire en sorte que cessent toutes ingérences dans les affaires internes congolaises.»
Et il est fort possible que la Banque mondiale, qui injecte près de 300 millions de dollars chaque année au Rwanda, soit aussi sensible à ces accusations. La pression sur l'organisation de Washington s'est d'ailleurs accentuée début septembre: HRW a envoyé une lettre à ses dirigeants pour les exhorter à «revoir [leur] programmation au Rwanda». L'ONG américaine fait observer que ce petit pays d'Afrique centrale a connu une forte croissance économique et des hausses des indicateurs de développement depuis le génocide de 1994, en partie grâce à l'appui de la Banque mondiale.
Mais si les guerres successives en RDC sont les plus meurtrières depuis la Seconde Guerre mondiale, avec plus de 5 millions de victimes, l'attention actuelle sur le Rwanda ne doit pas faire oublier que «d'autres acteurs jouent aussi un rôle trouble dans les violences, ajoute Pierre Cherruau. A commencer par l'Ouganda, les rebelles de l'Armée de libération du Seigneur ou certains employés des Nations unies.»
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