Aux assises de Paris, certains doutent de la date, d'autres du nombre de participants, mais tous se souviennent d'avoir assisté à une réunion sur le terrain de football de Kabarondo, au Rwanda, où l'ex-bourgmestre Tito Barahira a appelé à "travailler", c'est-à-dire à tuer les Tutsi.
L'ancien fonctionnaire de près de 65 ans, jugé depuis mi-mai avec son successeur à la tête de ce village du sud-est du Rwanda pour sa participation au génocide de 1994, nie en bloc. Dénonce un "complot", une réunion "qui n'a jamais existé".
Lundi matin, mains croisées sur les genoux, il est redressé sur son fauteuil, attentif, contrairement à d'autres moments où sa maladie -- il est dialysé trois fois par semaine -- l'entraîne dans le sommeil. Au fil des audiences, les témoignages l'accablent.
A la barre, Augustin Nsabimana explique que "tuer des Tutsi était devenu comme une loi". Surtout après l'attentat contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. "Barahira nous a dit que le président Habyarimana était mort à cause des Tutsi. Il fallait aller travailler pour assurer la sécurité."
Dans cette commune rurale éloignée des lieux de pouvoir, le pire massacre s'est produit le 13 avril: des centaines voire des milliers de Tutsi ont été massacrés dans et autour de l'église. La réunion sur le terrain de foot a eu lieu "quelques heures" avant, selon Augustin Nsabimana, condamné à 20 ans de prison au Rwanda pour ses crimes, dont dix commués en travaux d'intérêt général.
Ce jour-là, il était avec Eliezer, Samuel et Ernest, "convoqués" sur le terrain de football de Cyinzovu, près de Kabarondo-centre, à ce qu'ils qualifient tous de "réunion sur la sécurité".
Eliezer Ngendahimana a affirmé vendredi que "la réunion était dirigée par Tito Barahira", qui se plaignait que les habitants n'aient "pas assez travaillé à Bisenga", un secteur voisin, les appelant à faire mieux. "Travailler, c'est tuer, tuer des Tutsi", a traduit un autre participant, Onesphore Bizimungu.
Pourquoi obéir à cet homme qui n'était plus bourgmestre, demande à chacun l'avocat général Philippe Courroye. "Il avait été bourgmestre, il était important. Je pensais que peut-être on lui avait donné un autre poste", explique Augustin Nsabimana.
Pourquoi tuer aussi les femmes, les enfants? Ils n'étaient pas responsables de la mort du président. Mais pour Nsabimana, ils étaient "l'ennemi". Implacable, Ernest Ntaganda répond: "Comment aurions-nous pu épargner les enfants après avoir tué leurs mères?"
Onesphore Bizimungu, seul à décrire Barahira armé d'une lance, affirme qu'ils étaient 2.000 à cette réunion. Les autres avancent tous un chiffre de 250 à 300 personnes.
Plusieurs de ces hommes, condamnés à de lourdes peines de prison au Rwanda, ont ensuite participé ou assisté au meurtre de trois personnes dans un bois voisin, à l'assassinat d'une femme et d'un enfant croisés sur une route. Des Tutsi, selon "leur carte d'identité". Quelques heures plus tard, ou le lendemain selon les témoins, grenades, machettes et gourdins s'abattaient sur les réfugiés de l'église.
Invité à s'expliquer, Tito Barahira dénonce une "réunion inventée" par d'anciens voisins eux-mêmes jugés pour avoir tué et qui avaient "intérêt" à le "mettre en cause pour voir leur peine diminuée ou aménagée".
Avec méthode et calme, ce notable énumère ce qui l'occupait pendant ces premiers jours d'avril: la "taille de la clôture de cyprès", la fourniture de "fourrage pour l'étable" ou de "bois de chauffage pour la cuisine".
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