M. Makhtar Diop
Vice-président pour l'Afrique
Banque mondiale
1818 H Street, NW
Washington, DC 20433 USA
Cc : Mme Carrie Turk, Chef-pays pour le Rwanda
Conseil des Administrateurs
Objet: Préoccupations relatives au financement par la Banque mondiale de programmes au RwandaMonsieur le Vice-président Diop,
Je vous écris pour exhorter la Banque mondiale à revoir sa programmation au Rwanda au vu de preuves détaillées d'atteintes aux droits humains commises par le gouvernement rwandais et du soutien par l'armée rwandaise de groupes armés en République démocratique du Congo (RDC) responsables de graves violations de droits humains.
Human Rights Watch est une organisation non gouvernementale indépendante qui surveille l'évolution des droits humains dans plus de 90 pays à travers le monde. Depuis plus de 30 ans, Human Rights Watch mène des recherches et rend compte des atteintes aux droits humains commises par les gouvernements et les acteurs non étatiques tels que les entreprises et les groupes d'opposition armés. Nous plaidons pour une meilleure protection des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que des droits civils et politiques.
Le Rwanda a connu une croissance économique importante depuis le génocide de 1994 et des hausses des indicateurs de développement, en partie grâce à l'appui et à l'assistance de la Banque mondiale et d'autres bailleurs de fonds.
[1] Cependant, ces acquis ont été sapés par la répression politique, notamment des violations systématiques des droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion. En outre, l'armée rwandaise a continué de soutenir des groupes rebelles armés responsables d'exactions dans la RDC voisine, en violation de l'embargo sur les armes des Nations Unies. Veuillez vous rapporter à un aperçu ci-joint des principales préoccupations de Human Rights Watch relatives aux droits humains au Rwanda, qui revêtent une importance particulière quant au développement du pays et au mandat de la Banque mondiale.
Le gouvernement rwandais a bénéficié d'un fort soutien de la Banque mondiale, malgré les preuves évidentes de son mépris des droits humains fondamentaux à l'échelle nationale ainsi que dans le pays voisin, la RD Congo. La Banque mondiale est l'un des bailleurs de fonds les plus importants au Rwanda, avec un portefeuille de prêts de près de 300 millions de dollars US dans des projets actifs en mars 2012, dont plus de 100 millions de dollars US fournis au titre de soutien budgétaire général chaque année. En outre, la Banque mondiale a accordé environ 88 millions de dollars US de fonds fiduciaires au Rwanda. La Banque mondiale met l'accent sur les secteurs clés de l'agriculture, de l'énergie, des transports, du développement des compétences, de la démobilisation et de la réinsertion, ainsi que du développement du secteur privé.
[2] Un objectif important de l'engagement de la Banque mondiale a été de veiller à ce que les Rwandais les plus vulnérables bénéficient de la croissance.
La Banque mondiale a évité d'émettre des préoccupations publiques sur les violations de droits humains de la part du gouvernement rwandais. Cela montre un manque de respect des obligations en matière de droits humains de la Banque mondiale en tant qu'institution spécialisée des Nations Unies ainsi que des obligations de droits humains des actionnaires de la Banque mondiale, lorsqu'ils siègent au conseil d'administration.
[3]En ce qui concerne la
Stratégie de développement économiqueet de réduction de la pauvreté (SDERP) du Rwanda, le gouvernement rwandais ne peut pas être considéré comme ayant été à la hauteur de son « programme phare » de gouvernance, au cours duquel il était censé non seulement respecter les droits humains et l'État de droit, mais également permettre aux citoyens de participer à leur propre développement social, politique et économique. Compte tenu du fait que l'ajustement avec la SDERP est l'un des principes directeurs du soutien de la Banque mondiale, nous estimons que celle-ci devrait faire davantage d'efforts pour mettre en évidence le fossé entre les engagements du Rwanda au regard de la SDERP et la réalité quotidienne dans le pays, telle que nous la décrivons dans le résumé des préoccupations ci-joint.
En juillet et août 2012, plusieurs grands bailleurs de fonds au Rwanda, notamment les États-Unis, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Suède, ont suspendu ou retardé une partie de leur aide au Rwanda suite à la publication d'un rapport du Groupe d'experts des Nations Unies documentant la fourniture d'armes, de munitions, de recrues et d'autres formes de soutien par des responsables militaires rwandais au groupe armé congolais M23 en violation de l'embargo sur les armes des Nations Unies sur la RD Congo. L'un des principaux leaders du M23 est Bosco Ntaganda, un chef de guerre congolais devenu général de l'armée recherché pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale. D'autres bailleurs de fonds sont également en train de revoir leur politique d'aide pour le Rwanda. La Banque mondiale devrait sérieusement prendre en compte l'effet déstabilisateur des actions du Rwanda dans la région du fait de son soutien à des groupes armés responsables de graves atteintes aux droits humains en RD Congo.
Human Rights Watch exhorte la Banque mondiale à :
Je souhaiterais également solliciter une rencontre avec vous-même et vos collègues pour discuter de ces questions, à votre convenance en septembre.
Avec l'assurance de mes sentiments les meilleurs,
Jessica Evans
Conseillère / Chercheuse senior pour les Institutions financières internationales
Human Rights Watch
Septembre 2012
Soutien militaire rwandais de groupes armés congolais impliqués dans des crimes de guerreL'armée rwandaise a une longue histoire d'engagement dans le conflit en République démocratique du Congo (RDC) voisine. En 1996, les troupes rwandaises ont envahi l'est de la RDC et tué un grand nombre de réfugiés rwandais et de civils congolais. Depuis ce temps-là, elles ont soutenu une succession de groupes armés congolais qui ont commis de graves violations de droits humains contre les civils dans l'est de la RDC, notamment lors de la « seconde guerre » de la RDC de 1998 à 2003, puis à nouveau en 2004 et en 2007-2008 quand elles ont soutenu le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP).
[4] Parmi ces exactions, figuraient les meurtres de civils, la violence sexuelle, le recrutement forcé d'enfants, les arrestations arbitraires et la torture. Le long conflit armé en RDC, qui se poursuit dans l'est du pays, a provoqué des déplacements massifs de population et une crise humanitaire. Une diversité de groupes armés congolais, ainsi que des membres de l'armée congolaise, continuent de commettre de graves exactions.
[5]L'exemple le plus récent de l'engagement militaire rwandais en RDC est son soutien pour le M23, un groupe armé congolais qui a été impliqué dans des atteintes aux droits humains et des violations des lois de la guerre. Un des principaux leaders du M23 est Bosco Ntaganda, un chef de guerre congolais devenu général de l'armée qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis entre 2002 et 2004. À la fin de mars 2012, environ 600 à 800 soldats de l'armée congolaise se sont mutinés dans l'est de la RDC, affirmant qu'un accord de paix signé le 23 mars 2009, qui les avait intégrés dans l'armée nationale, n'avait pas été pleinement mis en œuvre. En mai 2012, les mutins ont créé un nouveau groupe armé appelé le M23, qui a bénéficié de l'appui de l'armée rwandaise sous la forme d'armes, de munitions, de recrues et de renforts des troupes périodiques. Bosco Ntaganda a pu éviter d'être arrêté et transféré à la Cour pénale internationale grâce au soutien des autorités militaires rwandaises, qui lui ont permis d'entrer au Rwanda à plusieurs reprises sans être inquiété.
[6]Human Rights Watch a continué à recevoir des informations crédibles sur le soutien militaire rwandais au M23 en juillet 2012, notamment la fourniture continue d'armes, de munitions et de recrues. Des soldats et des officiers rwandais ont également été déployés pour soutenir le M23 dans des opérations offensives et pour former les nouvelles recrues.
[7]Dans sa Stratégie d'aide-pays (CAS) pour le Rwanda pour la période 2009-2012, la Banque mondiale reconnaît les «
risques potentiels pour les pays voisins de la région, notamment la menace de conflit et d'instabilité politique dans la région » et que «
les progrès du Rwanda dans la construction de la sécurité intérieure et de la stabilité politique sont ... vulnérables à l'instabilité politique continue dans l'est de la RDC ». Cependant, la Banque mondiale ne reconnaît pas que l'armée rwandaise a activement contribué au conflit et à l'instabilité.
La Banque suggère en outre que ses programmes sur la démobilisation et la réinsertion «
pourraient contribuer à atténuer ce risque ». Pourtant, ces derniers mois, d'anciennes recrues du M23 et d'autres sources dans l'est de la RDC ont informé Human Rights Watch que parmi les individus recrutés au Rwanda pour appuyer le M23 en RDC figuraient des combattants démobilisés des FDLR
[8] et du CNDP, ainsi que des soldats démobilisés de l'armée rwandaise. Certains de ces anciens combattants ont été incités par des coordinateurs de démobilisation ou d'autres anciens combattants à assister à des réunions des combattants démobilisés, ce qu'ils ont fait dans l'espoir de recevoir un soutien financier ou de trouver un emploi. Au lieu de cela, ils ont été emmenés de l'autre côté de la frontière pour rejoindre le M23 en RDC.
[9] Des autorités militaires rwandaises ont également recruté plusieurs centaines d'enfants âgés de moins de 18 ans par la force ou sous de faux prétextes au Rwanda, leur ont fourni des armes et les ont escortés à travers la frontière en RDC comme nouvelles recrues pour le M23. Certains des enfants étaient âgés de moins de 15 ans. Un certain nombre de ces enfants ont ensuite été sommairement exécutés par les commandants du M23 lorsqu'ils ont cherché à s'échapper.
[10]Absence d'un environnement favorable à la participation civique et la responsabilité socialeLa Banque mondiale reconnaît de plus en plus l'importance de la participation citoyenne et la responsabilité sociale pour un développement durable.
[11] La liberté d'expression, de réunion et d'association fait partie intégrante de la participation civique, pourtant la Banque mondiale n'a pas soulevé d'inquiétudes quant à la violation persistante par le gouvernement rwandais de ces droits de manière efficace, que ce soit publiquement ou par l'intermédiaire de ses documents de programmation. Comme il est précisé ci-dessous, la répression du gouvernement rwandais n'a laissé pratiquement aucun journaliste indépendant au Rwanda et a considérablement affaibli la société civile indépendante.
Le gouvernement rwandais a régulièrement harcelé, menacé, arrêté et accusé les journalistes et autres personnes perçues comme critiques d'infractions pénales pour avoir dénoncé de façon critique de la conduite du gouvernement. Des accusations telles que
« l'idéologie du génocide », l'atteinte à la sûreté de l'État et l'incitation à la désobéissance publique ont été utilisées pour poursuivre les détracteurs du gouvernement. Un grand nombre de Rwandais vivent dans la peur de parler de certains événements ou d'exprimer des opinions qui peuvent les conduire en prison. Le Haut Conseil des médias (un organisme aligné avec le gouvernement en charge de la régulation des médias) a suspendu en 2010 deux des journaux les plus populaires,
Umuseso et
Umuvugizi, et leurs rédacteurs en chef et journalistes ont été jugés pour des accusations de diffamation.
[12] L'un des journalistes d'
Umuvugizi, Jean-Léonard Rugambage, a été assassiné en juin 2010.
[13] Deux journalistes du journal
Umurabyo, Agnès Uwimana et Saidati Mukakibibi, purgent actuellement des peines de prison en lien avec des articles publiés dans leur journal ; les peines initiales de 17 et 7 ans ont été réduites à 4 et 3 ans en appel, mais les deux femmes sont toujours en prison.
[14] Plusieurs autres journalistes ont été arrêtés et poursuivis pour des infractions diverses, aussi récemment qu'en 2012.
[15] La plupart des journalistes limitent désormais leur travail à rendre compte de sujets non controversés. Les nouvelles lois sur les médias comportent quelques améliorations, comme la réduction de lourdes restrictions administratives et financières pesant sur les journalistes et l'introduction de l'autorégulation par les médias, mais en termes de risques encourus par les journalistes dans l'exercice de leur profession, dans la pratique, peu de choses ont changé.
La société civile indépendante rwandaise a également été grandement affaiblie. L'hostilité du gouvernement envers les organisations de défense des droits humains signifie que les organisations rwandaises disposent de peu de latitude pour dénoncer les abus commis par l'État. Des dispositions administratives contraignantes, les menaces et l'intimidation des défenseurs des droits humains, combinées avec un certain degré d'autocensure, ont fait en sorte que peu de groupes de la société civile rwandaise critiquent publiquement le bilan du gouvernement en matière de droits humains.
[16]Le gouvernement a réagi de manière agressive à l'égard d'organisations internationales de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, ainsi que des organismes des Nations Unies et d'autres groupes ayant publié des rapports critiques.
[17] Cela a été démontré tout récemment, par la réaction de colère du gouvernement au rapport intérimaire du Groupe d'experts de l'ONU sur la République démocratique du Congo en juin 2012, évoqué ci-dessus.
[18] Une réponse similaire a caractérisé la réaction du gouvernement au « rapport de mapping » de l'ONU publié en 2010 par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l'homme, qui décrivait, entre autres, les crimes graves commis par les troupes rwandaises en RDC, ainsi que par les groupes armés congolais soutenus par le Rwanda, en 1996 et 1997.
[19] La réponse du gouvernement à ces rapports consiste généralement en dénégations catégoriques de toutes les allégations d'atteintes aux droits humains, en tentatives pour discréditer les organisations publiant ces rapports, et en attaques personnelles réitérées contre leurs auteurs, en particulier à travers les médias.
[20]Le gouvernement a utilisé une loi controversée de 2008 sur « l'idéologie du génocide » pour cibler les détracteurs présumés du gouvernement.
[21] Le Parlement étudie actuellement une version révisée de la loi qui propose de répondre aux préoccupations concernant la définition trop large de « l'idéologie du génocide » et de réduire les peines prescrites. Cependant, la nouvelle loi, si celle-ci est adoptée dans sa forme proposée, conserverait la notion de « l'idéologie du génocide » comme une infraction pénale passible d'une peine d'emprisonnement, et demeure propice aux abus, en particulier dans le contexte actuel de répression politique et de restrictions sur la liberté d'expression. Au lieu de soulever des préoccupations à ce sujet, la Banque mondiale, dans son CAS pour la période 2009-2012, semble avoir tout simplement accepté l'affirmation du gouvernement selon laquelle « l'idéologie du génocide » persiste ou a resurgi.
[22]Dans son CAS de 2009-2012, la Banque mondiale reconnaît l'importance de la participation et l'autonomisation civiques, de la transparence et de la responsabilité, mais elle omet de mettre en évidence le fait que la répression gouvernementale est l'obstacle majeur pour y parvenir.
[23]Elle met plutôt l'accent sur l'accès à l'information sur les politiques et les programmes gouvernementaux et la nécessité de consolider la capacité des organisations de la société civile, et note aveuglément que les organisations de la société civile ont considérablement augmenté en nombre sans faire remarquer que leur indépendance est gravement compromise.
Croissance économique sans libertés politiquesLa Banque mondiale a omis de soulever des inquiétudes de manière constructive quant aux risques potentiels que la répression politique du gouvernement rwandais pose pour un développement durable. Dans son étude de cas sur le Rwanda pour le
World Development Report 2011, Omar McDoom affirme que «
la paix est plus susceptible de durer si l'espace politique du Rwanda est progressivement ouvert » et «
la stabilité post-conflit fondée sur la croissance économique et un fort leadership – mais sans libéralisation politique à long terme – peut avoir une durée limitée et une fin probablement dramatique. » Il conclut que la réussite du développement du Rwanda est fragile car elle repose sur la continuité du règne du Front patriotique rwandais (FPR) : «
La durabilité à long terme de la paix dépend également de l'ouverture progressive de l'espace politique et de la déconcentration du pouvoir entre les mains de l'élite au pouvoir pour permettre aux institutions d'État du Rwanda et à la société civile et politique de se transformer en contrepoids responsables et indépendants au régime. En l'absence d'un tel changement dans la culture politique, les perspectives du Rwanda pour un changement pacifique et constitutionnel du régime un jour peuvent être diminuées et les réalisations remarquables de l'actuel régime après le génocide annulées. »
[24]Le FPR continue à monopoliser la scène politique et à contrôler presque toutes les institutions aux niveaux national et local. Le président Paul Kagame a remporté les élections présidentielles de 2010 avec plus de 93% des voix ; les quelques candidats rivaux appartenaient tous à des partis qui étaient largement en faveur du FPR. La période pré-électorale de 2010 a été marquée par une forte augmentation des actes d'intimidation et des attaques contre les opposants et les critiques.
[25] Des tendances similaires ont caractérisé les précédentes élections présidentielles en 2003 et les élections législatives en 2008.
[26] Les prochaines élections législatives sont prévues pour 2013, et au moment de la rédaction de ce document, il n'y a aucune indication que le gouvernement envisage d'ouvrir l'espace politique à une opposition significative. Le gouvernement rwandais a continué à persécuter les opposants politiques réels ou supposés depuis les élections de 2010, en 2011 et 2012.
Il n'existe pas de partis d'opposition qui fonctionnent au Rwanda. Les autorités locales et la police ont empêché l'enregistrement de deux des trois partis politiques qui auraient pu se présenter aux élections de 2010 (les FDU-Inkingi, le PS-Imberakuri et le Parti démocratique vert).
[27] Au moment de la rédaction de ce document, ces partis ne sont toujours pas enregistrés. Le troisième (le PS-Imberakuri) a été repris par une faction favorable au FPR qui a renversé le président du parti, Bernard Ntaganda. Bernard Ntaganda et la présidente des FDU-Inkingi, Victoire Ingabire, sont actuellement en prison. Ntaganda purge une peine de quatre ans pour atteinte à la sûreté nationale et divisionnisme, alors que le jugement dans le procès de Victoire Ingabire est prévu pour septembre 2012.
[28] Des membres de niveau inférieur de leurs partis ont également été arrêtés et détenus à plusieurs reprises et ont continué de faire l'objet de harcèlement de la part du gouvernement et du parti au pouvoir. Le vice-président du Parti démocratique vert a été assassiné en juillet 2010, conduisant son président à fuir le pays.
[29] Deux ans plus tard, personne n'a encore été mis en accusation pour son meurtre.
Même en exil, la sécurité des supposés opposants ou détracteurs n'est pas garantie. En juin 2010, le général Kayumba Nyamwasa, un ancien allié proche du président Kagame devenu son adversaire déclaré, a échappé de justesse à une tentative d'assassinat en Afrique du Sud. En mai 2011, la police métropolitaine de Londres a officiellement averti deux Rwandais vivant au Royaume-Uni au sujet de menaces crédibles à leur encontre émanant du gouvernement rwandais. En novembre 2011, un homme armé non identifié dans la capitale ougandaise Kampala a abattu un journaliste rwandais vivant en Ouganda, connu pour être critique envers le gouvernement.
[30]La Banque mondiale a omis de soulever des préoccupations concernant la répression politique par le gouvernement rwandais et les risques que celle-ci présente pour le développement durable. Au contraire, dans son CAS pour la période 2009-2012, elle a noté que «
l'approche rwandaise de la promotion de politiques et d'une gouvernance inclusives et stables semble fonctionner ». Dans la section intitulée « Gestion des
risques », elle a indiqué une prévision exagérément optimiste pour les élections de 2010 et suggéré que les élections de 2010 fourniraient une «
nouvelle occasion d'approfondir le processus de démocratisation du Rwanda ». En tenant compte du fait qu'il n'y a pas eu d'élections démocratiques, libres ou équitables au Rwanda depuis que le gouvernement à dominance FPR est arrivé au pouvoir, cette analyse était gravement inopportune. Malheureusement, comme illustré ci-dessus et dans les documents référencés dans le présent exposé, les événements de 2010 ont prouvé que peu de choses avaient changé en termes de refus du FPR d'ouvrir l'espace politique.
Manque d'indépendance du système judiciaireUn certain nombre de réformes juridiques ont amélioré les performances et l'efficacité du système judiciaire au Rwanda. Cependant, ce système souffre toujours d'un manque d'indépendance, et le gouvernement a interféré avec le déroulement et l'issue d'un certain nombre de procès, en particulier dans les affaires de nature politique, comme les poursuites contre des politiciens de l'opposition et des journalistes mentionnés ci-dessus.
En outre, Human Rights Watch a documenté des cas de détention illégale et de torture dans des lieux de détention militaires. Les juges traitant de telles affaires n'ont pas ordonné d'enquêtes sur les allégations des accusés selon lesquelles ils avaient été illégalement détenus ou torturés, et ils n'ont pas pris en compte ces allégations en prononçant leur jugement.
[31]Les avocats sont réticents à prendre en charge des affaires relatives à la sécurité de l'État, aux questions politiques, la liberté des médias et l'idéologie du génocide, ainsi que les affaires dans lesquelles les suspects ont été détenus illégalement, ce qui limite le droit de l'accusé à une représentation juridique. De nombreux prévenus dans ce genre d'affaires se voient réclamer des honoraires exorbitants qu'ils ne peuvent généralement pas se permettre, afin de compenser ce risque.
Les tribunaux communautaires
gacaca, chargés de juger les affaires liées au génocide, ont achevé leurs travaux en 2012. Ils ont jugé plus de 1,2 million d'affaires depuis 2005. Ils laissent derrière eux un héritage mitigé, avec un certain nombre de réalisations positives – notamment leur travail rapide, la large participation de la population locale, et la révélation d'informations sur les événements de 1994 – ainsi que de violations du droit à un procès équitable, d'intimidation de témoins et de corruption de juges et d'autres parties.
[32] Malheureusement, le CAS de la Banque mondiale n'a pas reconnu le caractère mitigé de cet héritage, affirmant seulement que le système des juridictions
gacaca «
bénéficie d'une large approbation de la population. » Selon des recherches approfondies menées sur le terrain et des observations des procès
gacaca par Human Rights Watch, les opinions sur
gacaca sont très divisées, un grand nombre de Rwandais exprimant une insatisfaction profonde concernant ce processus.
[33]